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attitude. Il lui suffisait d’un mot pour « verser autour de lui des trésors d’allégresse, » d’un geste pour faire rentrer ses ennemis sous terre. Sa prudence habituelle ne lui laissa pas cependant oublier cette maxime : « veillez quand votre ennemi se tient en repos, car la haine qu’il garde au fond du cœur fera explosion à la première occasion favorable. » Pour pouvoir procéder en paix à ses réformes, Mahmoud crut nécessaire de fermer d’abord la bouche aux bavards. Tous les cafés de Constantinople, — « tous, absolument tous, » nous dit M. Huder, — furent fermés le même jour. Il y en avait 15,000. Chez un peuple qui ne peut se passer de fumer, de prendre le café, assis sur ses talons, on concevra difficilement de mesure plus vexatoire. Supprimer la presse dans la libre Angleterre ne serait rien en comparaison. Le peuple se soumit cependant, mais dans les rues de Constantinople presque désertes, si l’on rencontrait encore quelque passant, sa figure portait l’empreinte d’une irritation contenue, et bientôt des placards clandestinement affichés annoncèrent l’espoir de la réaction : « Bourreau Mahmoud ! c’en est assez. Il t’arrivera pis qu’à Sélim. Ne crois pas en avoir fini avec les janissaires. Tu les verras sortir de terre comme des champignons. » Les partisans du nouveau système, tout entiers à leur engouement, ivres de joie « comme de vrais enfans ou plutôt comme des fous, » prêtaient à peine une oreille distraite à ces menaces. Ce n’était pas sans raison d’ailleurs qu’ils les jugeaient vaines. Une institution comme celle des janissaires ne renaît pas de ses cendres, et pour que la tranquillité matérielle fût troublée, il eût fallu rendre à la révolte ses soldats. L’ennemi intérieur était bien dompté ; le péril extérieur en présence de l’attitude toujours suspecte de la Russie n’en était pas moins grand, car les premiers essais de cette organisation militaire à laquelle le sultan présidait en personne ne semblaient guère de nature à le conjurer. « Tout cela, écrivait M. Desages, n’est pas encore beau à voir, » — « Ces nouvelles troupes, disait de son côté M. Huder, font pitié. » Le sultan cependant passait sa vie à cheval. « Son goût pour l’arc s’était changé en passion pour la lance et le pistolet. » Il s’était nommé bim-bachi (colonel) de sa maison, qu’il faisait « manœuvrer jusqu’à extinction. » — « On lui a présenté l’autre jour, écrivait le 21 août M. Huder à l’amiral, la traduction en turc de notre théorie d’infanterie. Il a bondi de joie : — Voilà s’est-il écrié, le livre que j’ai cherché pendant ma vie entière. — Quand on lui a insinué qu’il conviendrait de l’imprimer pour les officiers de ses troupes, il a dit : — Non, non, pas encore. Je veux et je dois savoir commander le premier pour pouvoir enseigner les autres. Il a demandé aussi la traduction de notre théorie de cavalerie, — la dernière édition. — On construit ou l’on répare à l’arsenal quinze