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dirigée contre des chrétiens. Lorsqu’après avoir ravagé l’Arcadie, Ibrahim vint camper dans la plaine de Calamata, nos officiers virent le colonel Sèves racheter de ses deniers les familles tombées enta » les mains de ses propres soldats pour les envoyer à bord de la Sirène.

« La période actuelle, écrivait l’amiral de Rigny, va montrer dans ce petit coin de terre qui attire l’attention de l’Europe deux de nos compatriotes dirigeant deux camps opposés et séparés par toutes les barrières humaines ; mais je m’empresse de rendre ce témoignage à un homme qui, engagé aujourd’hui sous des lois étrangères, y a conservé des mœurs et des sentimens de Français. Par son humanité autant que par son héroïsme, Soliman-Bey honore encore son pays. »

La prédilection du pacha d’Égypte pour la France n’avait fait que grandir. C’étaient des Français qui organisaient ses armées et qui dirigeaient ses manufactures ; il songeait à leur confier le commandement de ses flottes. « Méhémet-Ali, écrivait à la date du 8 avril 1826 le capitaine de la Truite, M. de Robillard, met une vivacité de jeune homme et presqu’un empressement d’enfant à jouir de ce qui le flatte, à improviser ce qui lui plaît. Le manque d’argent seul peut l’arrêter. Vieillard jovial, toujours gai, toujours content, on le prendrait pour le meilleur et le plus doux des hommes, si l’on n’entrait dans son palais par la cour où tous les mamelouks furent massacrés par son ordre. » Les qualités du pacha lui étaient personnelles, beaucoup de ses défauts tenaient à l’état social au milieu duquel il devait se mouvoir. Il y a longtemps qu’on l’a dit : « celui qui veut se mêler de gouverner les hommes doit avant tout mettre son cœur dans sa tête. » On a pu voir cependant en pays chrétien une extrême bonté, une disposition naturelle à la mansuétude et à la clémence devenir un excellent moyen de gouvernement ; mais pourrait-on se figurer un pacha d’Albanie, un vice-roi d’Égypte, un sultan de Constantinople sensibles ? Le moindre attendrissement eût abrégé leurs jours ; l’oubli des injures eût été chez eux un suicide. Une soldatesque effrénée, des conspirateurs incorrigibles appelaient en Orient des maîtres impitoyables. Ce qu’on peut reprocher à Méhémet-Ali, c’est d’avoir méconnu ce qu’il devait au peuple laborieux, doux et intelligent que la Providence lui avait donné à conduire. Il resta turc jusqu’à sa dernière heure, exploitant l’Égypte, pressurant les fellahs et ne faisant rien pour améliorer leur sort. Au mois d’avril 1826, il avait douze régimens exercés à l’européenne, chacun de 4,000 hommes. Sur ces douze régimens, six étaient en Morée, quatre au camp près du Caire ; les deux autres à La Mecque, à Alexandrie et dans le Sennaar. Il avait en outre