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pagne. Les Génois reculèrent; le comte d’Alençon, hors de lui, s’écria : « Tuez cette ribaudaille ! » Les chevaliers tombèrent à coups de lance sur les mercenaires italiens, qui se mirent à éventrer les chevaux avec leurs coutelas. Le Prince Noir sortit des retranchemens et rejeta la première ligne française à plusieurs centaines de pas en arrière. La seconde ligne fut forcée de s’arrêter devant les masses qui se repliaient sur elle, et ce fut en vain qu’un brave chevalier, Jacques d’Estracelles, essaya de faire comprendre au comte d’Alençon qu’il fallait suspendre le combat, attendre l’arrivée du roi, qui s’avançait avec l’arrière-garde, et reformer les lignes pour une attaque générale. Le comte d’Alençon ne voulut rien écouter. D’Estracelles, qui étouffait sous son bassinet de fer, l’avait ôté pour respirer plus à l’aise. « Remettez votre bassinet, lui dit le comte, et marchez ! — Puisqu’à la bataille nous sommes venus, répondit d’Estracelles, je le remettrai, mais jamais il ne sera ôté par moi. » À ces mots, il se lança avec les hommes de sa bannière contre les Anglais, et renversant tout sur son passage, il arriva au pied du coteau; mais les archers placés sur les rideaux palissades ou derrière les chariots n’avaient qu’à lancer leurs flèches dans les masses confuses qui venaient s’entasser devant eux, en se pressant les unes sur les autres. Ils tuaient à coup sûr, et bientôt les assaillans s’arrêtèrent devant les cadavres d’hommes et de chevaux qui encombraient le vallon. Les Anglais prirent l’offensive à leur tour, et c’est alors que le plus fidèle allié de la France, le vieux roi de Bohême, Jean Luxembourg, qui était aveugle, ordonna au sire de Basèle et à ses deux écuyers, Henri de Rosemberg et Jean de Leustemberg, de prendre les rênes de son cheval et de le conduire au plus fort de la mêlée pour y faire un bon coup de lance. Les écuyers obéirent; ils tombèrent avec lui à deux mille pas environ en avant du coteau, et quand on demande aux gens du pays : Quelle est cette vieille croix de grès qu’on voit près du chemin vert? ils répondent : Elle est là depuis la bataille, juste à l’endroit où l’on a trouvé le corps du roi de Bohême.

Le jour commençait à baisser. L’armée de Philippe était en pleine déroute et le massacre continuait toujours, car Edouard avait donné à ses soldats l’ordre de ne faire aucun quartier. Des chevaliers allemands qui servaient sous sa bannière le supplièrent de révoquer cet ordre cruel, non par pitié, mais par calcul, parce que, disaient-ils, en tuant les prisonniers on leur faisait perdre les belles rançons qu’ils en auraient pu tirer; Edouard fut inflexible, et le lendemain quand il envoya ses hérauts d’armes compter les morts et reconnaître leur blason, ceux-ci trouvèrent sur la poussière sanglante le roi de Bohême, son fils Charles, roi des Romains, dom