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firent silence ; des soldats se détachèrent des rangs pour fouiller les gibernes des morts et des blessés, tandis que d’autres criaient : « Des cartouches ! des cartouches ! » Les munitions étaient épuisées ; le général, pour sauver son artillerie et ses bagages, ordonna la retraite, et les troupes de notre aile gauche, qui depuis le matin combattaient à Villers-Bretonneux, se replièrent par la route de Corbie. Six faibles bataillons, dont trois de mobiles, avaient ainsi combattu pendant sept heures en rase campagne contre 15,000 hommes, appuyés par une artillerie formidable ; ils les avaient fait reculer plusieurs fois, une entre autres jusqu’à 3 kilomètres, et si les munitions n’avaient pas manqué, l’ennemi, épuisé par l’opiniâtreté de la résistance et des pertes considérables, aurait peut-être été hors d’état, comme l’a dit le général du Bessol, de soutenir un nouvel effort de notre part[1]. Cachy, quoique vivement attaqué à diverses reprises, était resté en notre pouvoir ; Gentelles était tombé aux mains des Prussiens, mais ils n’avaient pu en déboucher. La forte position de Boves, défendue seulement par 200 hommes sans artillerie, avait été tournée, et l’ennemi, en s’en rendant maître, se plaça sur le flanc des lignes de Dury.

Un vif combat s’était engagé sur ce point à peu près à la même heure qu’à Villers-Bretonneux. Les Prussiens avaient soixante-dix pièces en ligne ou en réserve, et de notre côté nous en avions quatre du plus faible calibre. Le peu de monde dont pouvait disposer le général Paulze d’Ivoy, qui commandait de ce côté, n’avait point permis d’occuper solidement le village de Dury, situé à 1 kilomètre environ en avant des retranchemens, sur la route de Paris à Dunkerque. Les Prussiens y établirent leur état-major au tournant d’une rue et derrière un pâté de maisons où il se trouvait parfaitement abrité contre nos projectiles, et ils dressèrent à droite et à gauche du village cinq batteries qui ouvrirent un feu violent contre nos lignes[2]. Il était impossible, dans de pareilles conditions d’infériorité, de résister longtemps ; toutefois, par un de ces heureux hasards qui ne se présentèrent que rarement pendant le cours de cette guerre désastreuse, une batterie de six pièces de 12, servie par des marins aux ordres du lieutenant de vaisseau Meusnier, arriva vers midi par le chemin de fer. Elle n’était point destinée à la défense d’Amiens ; elle n’en fut pas moins amenée en toute hâte sur le lieu de l’action et placée en face du village de Dury. Le lieutenant Meusnier se montra vraiment héroïque. Monté sur

  1. On peut juger de la faiblesse de la ligne française par ce fait, qu’un seul bataillon du 43e eut à défendre pendant l’action une ligne de 3 kilomètres, ce qu’il fit sans reculer d’une semelle.
  2. Voyez le plan du combat de Dury, par M. P. Viénot, architecte, une feuille grand in-folio, avec légende,