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Le poète, après avoir exposé pour son propre compte une action quelconque, la fera raconter quelques vers plus loin, dans des termes identiques, par quelqu’un de ses personnages ; puis les épithètes à la façon d’Homère : ainsi le tsar est toujours le tsar orthodoxe, — les héros et les brigands sont toujours les bons jeunes hommes, les braves garçons. Les mains ou la poitrine sont toujours blanches. Une tête porte invariablement la qualification de rebelle, fût-elle, sur les plus honnêtes épaules du monde. On ne sort pas du bois ombreux, de la campagne rase, des lacs profonds, de la mer bleue, du rouge soleil, de l’aurore matinale. Les fleuves deviennent la mère Volga ou notre père, le paisible Don. Enfin un choix peu varié de comparaisons poétiques ordinairement tirées du faucon lumineux, du cygne blanc, de la trompette d’or et du clairon d’argent. Que le lecteur français ne s’impatiente pas trop de ces somnolences de l’Homère russe, quandoque bonus

Nous allons assister à la naissance de notre héros.


II. — L’ENFANCE DE PIERRE.

« Pourquoi est-il joyeux et serein, dans Moscou, — le tsar orthodoxe Alexis Mikhaïlovitch ? — Dieu lui a fait naître un fils, un tsarévitch, — le tsarévitch Pierre Alexiévitch, — le premier empereur dans le pays.

« Tous les maîtres charpentiers de Russie — de toute la nuit ne dormirent pas ; — ils firent un berceau, une barcelonnette, — pour le jeune enfant tsarévitch. — Et les bonnes, les nourrices, — et les jolies filles suivantes — de toute la nuit ne dormirent pas : — elles cousaient un petit drap — de velours blanc, brodé d’or.

« Et les prisons avec les prisonniers ? — Elles furent complètement vidées. — Et les greniers du tsar ? — Ils furent ouverts à tous. — Chez le tsar orthodoxe, — on célèbre un festin, un joyeux banquet. — Les princes se sont réunis, — les boïars sont venus de toutes parts, — les nobles sont accourus, — et tout le peuple de Dieu au banquet — mange et boit et fait bonne chère. »


Cette byline nous offre le tableau exact et vivant de ce qui se passait au palais de Moscou le jour de la naissance d’un prince. M. Zabiéline, qui a consacré une étude spéciale aux « enfances » de Pierre[1], nous montre Alexis envoyant dans toutes les directions annoncer l’heureuse nouvelle aux boïars, aux officiers de la couronne, aux familiers du palais, aux tsarévitchs tatars de Grousinie, de

  1. Dans ses Essais d’étude sur les antiquités et l’histoire russe (Opyty izoutchénia, etc. ), Moscou 1872.