Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/693

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Kasimovo et de Sibérie, au patriarche et au clergé, sans oublier le monastère de Troïtsa. Les jours suivans, sonneries de cloches à toutes les cathédrales du Kremlin, liturgie en grande pompe à l’Assomption, — réceptions au palais polychrome des tsars, où le souverain distribuait de ses propres mains à ses sujets des verres de vin et d’eau-de-vie, des fruits et des confitures, — promotions de nobles à la dignité de boïars, gratifications de fourrures et de coupons de velours et de soie aux princes de l’église et de l’état, — festins splendides où figurait au dessert un Kremlin en sucreries avec des habitans, des strélitz et des cavaliers. je ne sais si les jolies filles suivantes et les maîtres charpentiers passèrent des nuits blanches, mais le jeune Pierre fut entouré de tout le luxe et de tout le confortable alors possibles dans une cour demi-barbare. Son berceau, suivant la coutume nationale, était suspendu aux lambris par des cordes, en sorte qu’on y balançait l’enfant plutôt qu’on ne l’y berçait. Pierre se développa avec une merveilleuse rapidité : son intelligence précoce contrastait avec la faiblesse d’esprit de ses deux frères aînés, Feodor et Ivan, issus du premier mariage d’Alexis. À quatre ans, ses jeux même faisaient présager l’homme de tête et d’énergie. On lui apprenait les histoires au moyen d’images coloriées importées d’Allemagne, et M. Zabiéline fait le compte des tambours crevés par lui, des fusils et des sabres qui flattèrent d’abord ses instincts guerriers. Le peuple ne pouvait manquer d’être frappé des promesses de génie qui éclataient déjà dans cet enfant. Aussi est-il le seul des fils d’Alexis dont on paraisse se souvenir, et, quand son père au lit de mort est mis en demeure de se choisir un héritier, le poète rustique, oublieux de l’histoire, ne lui met qu’un nom sur les lèvres :


« Oh ! dis-moi, notre père, tsar orthodoxe, — tsar orthodoxe Alexis Mikhaïlovitch, — à qui laisses-tu ta souveraineté, — à qui remets-tu le tsarat de Moscou ? — À la tête du tsar étaient les popes et les diacres, — du côté où brûlaient les cierges, — et ils chantaient les prières des morts ; — à ses pieds se tenaient tous les boïars, — et c’est ainsi que parla le tsar orthodoxe : — Je laisse ma souveraineté — au tsarévitch Pierre Alexiévitch, — je confie le tsarat de Moscou — au boïar prince Galitzine. — Et le tsar orthodoxe rendit l’âme. »


En réalité, Alexis eut pour successeur son fils aîné Feodor, et, lorsqu’à sa mort les boïars donnèrent le trône au jeune Pierre, l’ambitieuse Sophie ameuta les strélitz, fit couronner avec Pierre l’imbécile Ivan, et prétendit régner sous leur nom. Le bras droit de la tsarévria, son homme d’état et son général, fut le prince Vassili