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Fermez au plus tôt les portes de la ville, — saisissez au plus tôt le tsar blanc.

« Mais notre père le tsar ne s’effraya de rien. — Il avait deviné toutes les pensées des Suédois ; — il se jeta dans la maison d’un paysan : — Prends de l’argent, paysan, prends à volonté, — et conduis-moi sur le rivage de la mer bleue. — Le paysan en toute hâte le conduisit à la mer bleue ; — en toute hâte le tsar monta sur le vaisseau ; — il cria à ses soldats, à ses matelots : — Enfans, plus d’ensemble dans vos efforts, — plus de vitesse à ramer, plus de vitesse à voguer ! »


Le prétendu danger qu’aurait couru le tsar sur la terre allemande est devenu un motif sur lequel la fantaisie populaire aimait à revenir. Voici un conte, reproduit par MM. Bezsonof et Solovief. On y remarquera des intentions hostiles aux nobles russes, qu’on y présente comme les ennemis de Pierre, tandis que son sauveur est un homme du peuple ; on y remarquera aussi de singuliers points de rapprochement avec le joli conte de Perrault, où l’Adroite Princesse pousse le méchant prince Riche-Cautèle dans le tonneau hérissé de clous qu’il avait préparé pour elle.


« Lorsque le tsar et ses familiers étaient de l’autre côté de la mer, et qu’ils allaient dans la terre allemande, ils arrivèrent à Stekoln, et dans la terre allemande le royaume de Stekoln est gouverné par une demoiselle. Et cette demoiselle maltraita le tsar, le mit dans une poêle ardente, et, l’ayant ôté de la poêle, ordonna de le jeter en prison. Quand ce fut la fête de la demoiselle, les princes et les boïars (de Suède) commencèrent à lui dire : — Accorde-nous, ô reine, la liberté du tsar. — Et elle leur dit : — Allez, regardez, et, s’il vit encore, je le mets en liberté à votre prière. — Les princes et les boïars, ayant été regarder, lui dirent : — Reine, il est vivant. — Et elle leur dit : — Puisqu’il est vivant, prenez-le. — Et eux, l’ayant pris, le mirent en liberté. — Il alla trouver nos boïars (les Russes), et nos boïars firent le signe de la croix ; puis ils plantèrent des clous à l’intérieur d’un tonneau et se proposèrent de mettre le tsar dans ce tonneau. Un strélitz devina leur projet, courut chez le tsar, qui était sur son lit, et lui dit : — Tsar, notre seigneur, daigne te lever et t’en aller. Tu ne sais pas ce qu’on trame contre toi. — Lui, le tsar, se leva et s’en alla. Alors le strélitz se coucha sur son lit, à sa place. Les boïars vinrent, enlevèrent ce strélitz de dessus le lit, le mirent dans le tonneau, et le jetèrent à la mer. »


Pour la masse du peuple russe, nul doute que le souverain n’eût échappé à la sirène de la Smorodina, à la Circé de Stekoln, à tous les pièges de ses ennemis. Voyez-le, dans une de ces chansons, voguer à pleines voiles loin d’une terre perfide :