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de l’ataman avec Charles XII et Stanislas Leszczinski, Pierre le Grand refusa de les croire : arrêtés comme calomniateurs, ils confessèrent dans les tortures leur prétendu mensonge et furent décapités. Un autre rival de Mazeppa, l’héroïque aventurier Paleï, lui fut également sacrifié et envoyé en Sibérie. Quand la grande trahison fut enfin découverte, à Kief, à Moscou, dans toutes les cathédrales de la Russie, au son des cloches et à la lueur des cierges, Mazeppa fut solennellement excommunié, et encore aujourd’hui son nom se retrouve à côté de ceux des terribles cosaques Stenko Razine et Pougatchef, dans les anathèmes de l’église orthodoxe. Dans les chants de l’Oukraine, en dialecte petit-russien, sa trahison est énergiquement flétrie : elle était presque une apostasie, car il avait fait cause commune avec les Polonais, les pan, odieux à la fois comme catholiques et comme anciens dominateurs du pays. On l’appelle pan Mazeppa, Mazeppa l’excommunié et le musulman, qui a voulu faire le tsar à Moscou. Par contre, son ennemi Paleï, vrai chrétien, vrai Russe, vrai cosaque, est le héros de la situation. Charles XII et l’ataman rebelle viennent d’envahir la terre orthodoxe :


« Ils sont tombés sur les gens du tsar, — ils ont tué beaucoup de gens du tsar — dans la ville de Batourine ; — ils ont détruit, égorgé — beaucoup d’hommes et de femmes ; — ils ont profané les églises, — foulé aux pieds les saintes icônes… — Bientôt arrive Siméon Paleï, — lors du grand carême, au printemps, — chez le tsar blanc, dans sa capitale. — Sa lumière, le tsar orthodoxe, — éprouva une très grande joie — d’avoir pour hôte le grand chevalier, — le chevalier Siméon Paleï. — Quand Mazeppa se douta — que lui, Mazeppa l’excommunié, — le malheur le poursuivait, — il dit alors au roi de Suède — les paroles que voici : — Mon bienfaiteur, roi de Suède, — toi, mon illustre maître, — si nous ne pouvons prendre Poltava, — il vaudrait mieux nous enfuir — de dessous la ville de Poltava, — de peur que les Moscovites n’aient la démence — de nous y cerner avec toi. — « Tête insensée, Mazeppa, — n’ai-je pas une armée pour me défendre — et des retranchemens pour mon armée ? — Je puis aller encore chez le tsar blanc, — chez le tsar, dans sa capitale. » — Le jour de Saint-Nicolas, sous les murailles de Poltava, — voilà qu’apparaît Paleï, — avec lui, le prince Chérémétief. — Alors, et plus vite que cela, le roi de Suède — avec Mazeppa se mit et fuir secrètement. — Tous se sauvèrent à l’autre bord du Dnieper. »


Le vieil ataman, réfugié à Bender avec le roi de Suède et enterré un an après à Varnitza, semble avoir laissé peu de sympathie dans cette Oukraine dont il fut le dernier chef élu :


« Il a réussi, Mazeppa, l’excommunié, — à camper sous Poltava ; —