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— buvez, mangez, faites bombance, — et mettez vos joyeux habits de couleur. — Vous ne savez pas, vous n’avez pas appris — que le roi de Suède m’a écrit une lettre — Il veut venir, le roi de Suède, dîner chez, moi. — C’est nous qui dresserons la table, régiment. Préobrajenski, — nous qui mettrons la nappe, régiment Séménovski, — nous qui placerons les fourchettes, régiment Ismaïlovski, — nous qui verserons l’hydromel, régiment des dragons, — nous qui servirons les plats sucrés, régiment des hussards, — nous qui ferons le lit, régiment des fantassins ! »


Poltava décide la querelle. Il faut bien l’avouer, l’imagination populaire ne s’est pas montrée à la hauteur de ce grand fait. Elle ne trouve pour célébrer cette victoire si moderne que les figures devenues banales dans les anciennes chansons. Il y a loin de notre byline à la belle poésie de Pouchkine sur Poltava :


« La bataille de Poltava s’est élevée ; — l’armée suédoise fait feu — avec les gros engins, les canons ; — l’armée russe fait feu — avec les petits engins, les fusils. — Comme une gousse d’ail qui se vide, — se disperse l’armée suédoise. — Le champ suédois fut défriché — avec la poitrine des soldats ; — le champ suédois fut labouré, avec les pieds des soldats ; — le champ suédois fut hersé — avec les mains des soldats ; — le champ suédois fut semé — avec des têtes de soldats ; — le champ suédois fut arrosé — avec le sang des soldats. »


Dès ce moment, les événemens se précipitent, et la poésie populaire s’étonne des coups foudroyans portés par le vainqueur. Riga, Wyborg, Kexholm, Pernau, Revel, tombent entre ses mains ; Charles XII, captif volontaire à Bender, reste sourd à l’appel de son peuple. Le tsar promène sa flotte sur la Neva, le Ladoga, le golfe de Finlande, bravant les tempêtes de la Baltique et déjà menaçant Stockholm qu’il semble chercher, la lunette à la main, à travers les brumes du nord : « Écoutez, écoutez, matelots, hommes agiles, — grimpez sur les mâts du vaisseau, — regardez dans les lunettes d’approche : — Y a-t-il encore loin d’ici à Stekoln ? »


VII. — POERRE ADMINISTRATEUR.

Pierre le législateur devait moins parler à l’imagination populaire que Pierre le conquérant. La seule chanson qui nous le montre au sein de son sénat gouvernant s’est trompée sur son caractère en nous le représentant comme un prince guerrier qui cherche partout noises et batailles ; mais on verra que le costume simple et austère qu’il affectait avait frappé son peuple aussi bien que les étranger que M. de Tessé, Duclos ou Saint-Simon : « Notre père, notre