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plus qu’une loi ordinaire décrétant la construction d’une église. Tout est bien qui finit bien. Malheureusement l’esprit qui a inspiré cette tentative subsiste. Qu’on y songe bien, dans de telles manifestations il y a trop de politique sous-entendue pour que ce soit de la bonne religion, et il y a trop de préoccupations religieuses pour que ce soit de la bonne politique. Or sait-on ce que produisent ces désastreuses confusions ? Elles sont tout à la fois l’asservissement de la religion et de la politique, qu’elles compromettent du même coup. Après quinze ans de ce système sous la restauration, le catholicisme était partout insulté, les croix étaient abattues, les prêtres ne pouvaient se montrer dans les rues sous l’habit sacerdotal. Après quinze ans de liberté et d’indépendance mutuelle sous le gouvernement de juillet, la religion avait retrouvé le respect public, les prêtres étaient appelés après février à bénir les arbres de liberté, et le froc du moine se montrait jusque dans l’assemblée nationale de 1848.

Le gouvernement a fait son choix entre les deux politiques, on n’en peut douter ; il sent bien les difficultés qu’on lui crée et les dangers de réaction qu’on provoque ; évidemment il a fait ce qu’il a pu pour tempérer l’ardeur de ses redoutables amis, tout en faisant la part de sentiment qu’il se croit tenu de ménager. Que craint-il ? On ne lui sait pas gré de ses ménagemens, on respecterait sa fermeté devant de si compromettans fanatismes. Ce qu’il a de mieux à faire, c’est de se replacer sans hésitation, sans faiblesse, au centre de toutes les idées et de tous les sentimens de cette société française qu’il a la mission de maintenir en paix, non de conduire à de nouvelles guerres religieuses.

Jusqu’à quel point et combien de temps encore l’Espagne pourra-t-elle résister à la dissolvante anarchie dans laquelle elle se débat ? Que peut-il sortir de ce chaos sanglant, de cette situation où tout périt d’heure en heure, où les provinces qui n’appartiennent pas aux carlistes sont livrées à la démagogie la plus effrénée, tandis qu’il y a encore à Madrid une assemblée qui s’amuse à faire une constitution fédérale et un gouvernement qui est réduit à être le témoin impuissant des plus hideux excès ? La république, si on peut appeler de ce nom le régime qui existe au-delà des Pyrénées depuis six mois, la république a conduit la péninsule à ce degré de confusion où tout est possible et où rien n’est possible. Depuis six mois en effet, on a mis le plus triste acharnement à tout désorganiser, à flatter tous les instincts de révolte, les passions les plus violentes, à donner des encouragemens et des armes à tous les fauteurs de séditions, en même temps qu’on détruisait ou qu’on laissait détruire tout ce qui restait de forces régulières. Le résultat de cette décomposition ne s’est pas fait attendre, il éclate aujourd’hui sous des formes qui font reculer d’épouvante. Ce n’est pas une révolution arborant un programme, ce n’est pas une explosion locale ou accidentelle, c’est une immense traînée de sang et de feu qui se répand de tous côtés