Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/750

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

côté de l’Europe, l’Oural est moins une chaîne qu’un « plateau couronné d’une ligne de faîtes peu élevés. » Le plus souvent il ne présente que des croupes basses couvertes de forêts telles que celles des Vosges ou du Jura. Sa partie centrale est tellement déprimée, que, dans les principaux passages de Russie en Sibérie, à Ekaterinbourg par exemple, l’œil cherche en vain des sommets. À cette haute latitude, où les plaines basses restent six ou sept mois sous la neige, aucune des cimes de cette longue chaîne n’atteint la limite des neiges éternelles. L’Oural ne sépare réellement ni les climats ni les faunes ou les flores. Dirigé presque perpendiculairement à l’équateur, il laisse les vents du pôle souffler presque également sur ses deux pentes ; le léger abri qu’il offre à l’Europe modère un peu le climat, mais ne le transforme point. La nature semble se répéter des deux côtés de la chaîne. La Russie est la même sur ses deux versans, ou mieux la Sibérie n’est qu’une exagération de la Russie d’Europe, ou celle-ci un adoucissement de la Sibérie. Les plaines russes recommencent au-delà des pentes orientales de l’Oural, aussi vastes, aussi monotones dans le bassin de l’Obi que dans celui du Volga, offrant les mêmes assises d’atterrissement uniforme, la même horizontalité du sol et des sédimens géologiques. Des deux côtés, la végétation reste semblable. À peine un seul arbre, le pin de l’extrême nord, le pinus cembra, distingue-t-il les forêts de la Sibérie de celles de la Russie cisouralienne. Il faut aller jusqu’au centre de la Sibérie, jusqu’à l’Ienisei et au lac Baïkal, pour rencontrer une nature nouvelle, une autre flore, une autre faune. Le soulèvement de l’Oural n’a pas rompu la ressemblance et l’unité des deux régions qu’il divise. Au lieu d’une limite ou d’une barrière, il n’est pour les Russes que le réceptacle des plus précieuses richesses minérales. Dans ses roches d’origine éruptive ou métamorphique, il donne aux deux Russies les filons et les métaux qui manquaient aux stratifications régulières de leurs larges plaines : il ne les sépare pas plus l’une de l’autre que le fleuve auquel on a donné son nom, et, quand l’heure d’être peuplée sera venue pour la Sibérie occidentale, on pourra regarder l’Oural comme l’axe central, l’arête médiane des deux grandes moitiés de l’empire.

Ainsi envisagée comme un tout, formée de deux moitiés analogues, la Russie se montre décidément étrangère à notre Europe. Est-ce à dire pour cela qu’elle soit asiatique, et qu’au nom de la nature il la faille rejeter vers le vieux monde en compagnie des peuples endormis ou stationnaires de l’extrême Orient ? Non, loin de là. La Russie n’est pas plus asiatique qu’elle n’est européenne. Par le sol et le climat, par l’ensemble de ses conditions