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Etendu au milieu d’un isthme, d’une longueur à peu près égale à sa largeur, entre deux mers fatalement soumises à l’influence russe, du jour où la Russie aurait atteint leurs rivages, le Caucase devait être débordé des deux côtés, et aisément pris à revers par les armes des tsars. C’est ce que nous avons vu. C’est par le versant méridional, par la Géorgie, par Bakou et les anciennes provinces persanes, que la Russie s’en est emparée, et ce n’est qu’au nord, parmi les montagnards mahométans des hautes vallées, qu’elle a rencontré une sérieuse résistance. Il lui fallait franchir cette barrière pour atteindre le midi, l’éternelle tentation des peuples du nord. Le Caucase et la côte méridionale de Crimée nous offrent non pas une nouvelle région du sol russe, — la nature russe finit avec la plaine, — mais une contrée toute différente, aussi multiple et variée que sont uniformes dans leur immensité les régions de la Russie proprement dite. Là se retrouvent dans les vallées du Caucase les forêts disparues depuis le centre de l’empire, non plus maigres, monotones et diffuses comme dans le nord, mais épaisses, vigoureuses et d’une puissance de végétation inconnue à l’Occident et à l’Europe. Là réussissent les arbres fruitiers et toute cette variété de plantes et de cultures que la Russie eût en vain demandée à ses plaines, des rives de la Mer-Glaciale à celles de la Mer-Noire, — la vigne, qui, sur les bords du Don et même en Bessarabie, ne trouve encore qu’un abri précaire, — le mûrier, l’olivier. Il semble que les diverses zones de culture, ailleurs désignées par ces trois arbres, se soient rapprochées et réunies sur les pentes de ces montagnes comme pour dédommager la Russie de la monotonie de ses plaines. Il y a peu de plantes qu’on n’ait acclimatées dans les jardins suspendus sur la mer de la Corniche de Crimée. Dans la Transcaucasie, on cultive avec succès le coton et la canne à sucre, et les marchands russes ont déjà parlé d’y introduire des plantations de thé.


IV

La diversité des régions physiques de la Russie et la grandeur du tout ne doivent point nous faire illusion sur son homogénéité. Il importe de ne le point perdre de vue : l’unité de la Russie est si naturelle qu’à moins d’être une île ou une presqu’île aucun pays du globe n’a été plus clairement marqué pour l’habitation d’un seul peuple. À travers toutes leurs différences, toutes leurs oppositions physiques et économiques, les deux grandes zones de la Russie sont attachées l’une à l’autre comme deux moitiés qui se