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C’est de ce noyau de ces forces productives, qui n’a guère que trois fois l’étendue de la France, que doit venir à la Russie presque tout l’accroissement de sa population ; mais dans ces régions mêmes le progrès ne peut être partout identique. Une grande partie de cette zone semble n’être pas très éloignée des limites naturelles de sa population, au moins dans l’état actuel de culture de la Russie. La région industrielle centrale, qui autour, de Moscou, entre le Volga et l’Oka, renferme de 9 à 10 millions d’habitans, n’a pas encore atteint une moyenne de 35 par kilomètre carré, et déjà elle ne croît plus que lentement[1]. La zone agricole la plus fertile, le tchernoziom, a généralement dépassé cette moyenne de 35 âmes ; dans certaines de ses parties, au centre et à l’ouest, ce nombre moyen s’élève même à 45, et dans un de ses gouvernemens agricoles, en Podolie, presqu’à 55, aussi haut que le gouvernement avec la ville de Moscou. Dans cette vaste zone du tchernoziom, c’est encore la partie la plus peuplée sur la rive droite du Dnieper qui offre l’accroissement le plus rapide. Là autour et au sud de Kief, tout se réunit pour stimuler la population : le voisinage de l’Europe et de la mer, la facilité des débouches, la clémence relative du ciel, les forêts qui fournissent du combustible, une industrie agricole prospère, les raffineries de sucre, tout, jusqu’aux Juifs, qui s’entassent dans les villes de ces anciennes provinces polonaises. Parvenues déjà au chiffre de 45 habitans par kilomètre carré, ces régions gagnent plus de 1 pour 100 par an. Il y a une autre partie de la terre noire en progrès notable et probablement plus durable, ce sont les contrées au sud et à l’est, qui ont récemment passé de la culture instable des steppes à la culture fixe, et qui travaillent à rattraper la population des terres voisines plus anciennement cultivées. La région centrale du tchernoziom, sur les deux rives du Don et sur la rive droite du Volga, moins favorisée par le climat et les débouchés, demeure au contraire presque stationnaire avec environ 40 âmes par kilomètre carré. À ce chiffre, il semble que dans les conditions actuelles la terre soit comme saturée d’habitans. Dans cette contrée et en général dans toute la zone de la terre noire, il n’y aura d’accroissement considérable de population qu’avec l’abandon du système d’assolement triennal, avec la substitution de la culture intensive à la culture extensive. Or ce progrès est encore éloigné. Il ne sera possible que lorsque toutes les steppes auront été livrées à la charrue, et peut-être est-il difficilement

  1. Comme terme de comparaison, on se rappellera qu’en France la population est approximativement de 68 habitans par kilomètre carré, d’à peu près autant en Prusse, dans la Grande-Bretagne de 95, en Autriche de 55, en Danemark de 45, en Portugal de 40, en Espagne de 31.