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« Notre projet. de constitution, le premier fruit de l’effort politique de l’Allemagne, n’est pas une Déclaration des droits de l’homme. Ce n’est pas une de ces nombreuses copies où la magna charta tracée sur le parchemin de l’Angleterre est reproduite sur le papier brouillard du continent. Ce n’est pas davantage une contrefaçon de la constitution américaine ou de la constitution belge ; c’est une œuvre originale comme la nation qui l’a créée. Un seul peuple et cependant des peuples, — point de peuples et cependant un peuple, même, si Dieu le veut, un grand peuple libre, non pas un peuple né d’hier, mais un peuple éprouvé déjà par mille années de gloire et de souffrances. Je ne puis vous demander de ressentir le même enthousiasme que moi pour l’œuvre qui est le but sublime de notre projet, mais je vous demande d’y croire par la même raison que vous, vrai disciple de Burke, vous demandez que l’on croie à vos idées. Je vous abandonne le comité des cinquante, le comité des dix-sept, et toute la diète par-dessus le marché ; mais les cinquante, et les dix-sept et la diète s’évanouiront comme se sont évanouis les corps-francs d’Herwegh et d’Hecker, tandis que le roc sur lequel ils ont essayé de bâtir demeurera. Quel est ce roc ? L’Allemagne, la nation allemande profondément humiliée, divisée pendant mille ans, objet de raillerie pour un grand nombre, énigme pour tous, — mais appelée peut-être dans les grandes circonstances où nous sommes, à briser cette forme unitaire de l’état germanique mise en circulation par les Anglais, afin d’y substituer la forme bien autrement belle de l’état fédératif, tandis qu’aux yeux de bien des gens elle fait précisément le contraire ou même ne fait rien du tout[1]. L’état de l’avenir, c’est l’état fédératif monarchique, malgré les objections tirées des exemples de l’Irlande et de l’Amérique. On verra la despotique unité de la France elle-même fondre comme cire à ce soleil, on verra l’Espagne elle-même se rajeunir à ces rayons… »


Quand nous disions autrefois que la passion dominante en Allemagne depuis 1806 était la passion de l’unité, quand nous disions que ses revanches de 1814 et de 1815, loin d’apaiser les colères, de modérer les impatiences, en avaient augmenté l’ardeur, quand nous ne cessions de répéter que tous les peuples allemands, au risque de sacrifier leur indépendance, étaient résolus à reconstituer

  1. La pensée est obscure et demande quelques mots d’explication. M. de Bunsen veut dire qu’il y a deux idées de la monarchie, l’idée germanique et l’idée latine, la première qui concilie le droit de l’individu avec le droit de l’état, la seconde qui subordonne à l’état le droit de l’individu. Or la première, l’idée germanique, a deux formes différentes : 1° la forme unitaire, dont l’Angleterre a donné le modèle dans sa monarchie constitutionnelle, imitée tant bien que mal par divers états du continent ; 2° la forme fédérative, qui n’a encore été essayée nulle part, et que l’Allemagne de 1848, selon M. de Bunsen, devait organiser pour la première fois.