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pacifiques, était fier de cette armée, la plus belle du monde, disait-il souvent, et la création de sa maison. Il avait déclaré que sous aucun prétexte, dans aucun système de constitution, il ne renoncerait à en être le chef ; sur ce point, la dignité du roi de Prusse ne fléchirait pas, même devant la majesté du saint-empire romain. Et on voulait qu’il abandonnât le commandement de son armée à un pouvoir issu de la révolution ! À ce grief du souverain, l’opinion de l’armée en ajoutait un autre qui la touchait davantage : quel était le représentant de ce pouvoir devant lequel s’inclineraient les bannières prussiennes ? Un prince de la maison d’Autriche. Or n’était-ce pas en battant l’Autriche que l’armée prussienne avait acquis sa haute renommée ? Était-ce au fils des vaincus à commander les fils des vainqueurs ? Il y eut donc une résistance formelle aux ordres du vicaire de l’empire. On ne discuta point, on ne fit point de protestations, on se contenta de considérer comme non avenus les décrets de Francfort. Le ministère central avait fixé le jour où l’autorité de l’archiduc Jean sur les armées de l’empire devait être solennellement reconnue ; le jour arriva, ce fut un jour comme tous les autres : il n’y eut pas la moindre cérémonie, aucun hommage rendu, aucun serment prêté. L’armée de la Prusse était toujours l’armée du roi de Prusse ; les armées de la Saxe, du Hanovre, du Wurtemberg, de la Bavière, relevaient toujours du commandement des souverains. Que fit le ministère de l’empire ? Cet empire dont il invoquait le titre n’étant qu’un empire idéal, il n’y avait pas de sanction pour assurer l’exécution de ses décrets. Le ministère garda le silence et ajourna ses desseins ; on se disait tout bas que la Prusse serait moins hostile à l’idée d’une armée allemande le jour où ce serait le souverain de la Prusse qui en aurait le commandement.

Ainsi le parlement de Francfort et le ministère central, au moment même où le roi de Prusse faisait fi de leurs décisions, persistaient à compter sur lui pour la fondation de l’unité germanique. Ce spectacle suffirait à éclairer toute une situation. Il se renouvela plus d’une fois, et sous des formes très différentes. Vers la fin du mois de juillet 1848, M. de Bunsen, qui occupait son poste à Londres, fut mandé à Berlin par Frédéric-Guillaume IV. On connaissait à Francfort les sympathies de l’ami du roi pour l’unité allemande ; on avait pensé à lui donner le département des affaires étrangères dans le cabinet du vicaire de l’empire. Ce serait, disait-on, un moyen d’aplanir bien des difficultés, M. de Bunsen étant mieux que personne en mesure de fournir des explications à Frédéric-Guillaume et de vaincre ses résistances. Ces bruits étaient parvenus jusqu’au roi de Prusse, qui avait désiré s’entretenir à fond avec Bunsen sur une situation de jour en jour plus grave.