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curiosité, non pas une curiosité désintéressée, mais une curiosité, si on l’ose dire, sérieusement patriotique, car cette liberté d’action que nous respectons chez autrui, nous devons la revendiquer pour nous-mêmes. C’est notre droit, c’est notre devoir de juger ce qui se passe au-delà de nos frontières et de diriger notre politique en conséquence. Si les choses dont nous parlons aujourd’hui eussent été mieux connues il y a quelques années, d’horribles désastres auraient été sans doute épargnés à la France.

Ainsi ne cherchons pas à savoir qui a raison dans la question de l’unité allemande. Est-ce le roi de Prusse ? est-ce son ambassadeur à Londres ? Peu nous importe. Il nous suffit de raconter leurs dissentimens, et de constater qu’au fond leur passion est la même. Tous les deux sont poursuivis par les souvenirs de 1806, tous les deux veulent l’unité allemande en haine de la France ; ils ne diffèrent que sur les moyens.

Du mois d’août au mois de décembre 1848, ces dissentimens vont se manifester de plus en plus à mesure que les événemens se déroulent. Après bien des discussions, que je n’ai pas à rappeler aujourd’hui[1], l’assemblée de Francfort, en votant la constitution du futur empire, avait décidé que l’Autriche ne ferait plus partie de l’Allemagne. On n’a pas oublié peut-être quelle fut parmi nous la surprise de beaucoup d’esprits lorsque la victoire de Sadowa en 1866 amena précisément cette conséquence. Il semblait que le vainqueur commît un abus de force, il semblait que la maison d’Autriche, si longtemps en possession de la dignité impériale, ne pouvait, sans une injustice révoltante, être ainsi expulsée de l’Allemagne. Quoi ! les Habsbourg n’étaient plus des Allemands ! Ceux qui avaient suivi les débats du parlement de Francfort n’éprouvèrent aucune surprise. Quand cette séparation de l’Autriche et de la communauté germanique fut consommée en 1866 par le traité de Nicholsbourg, il y avait dix-sept ans qu’elle avait été votée, non sans émotions et sans déchiremens, par l’assemblée nationale de Francfort. Nous savons même aujourd’hui, grâce aux Mémoires de Bunsen, que cette idée de rejeter l’Autriche hors de l’Allemagne avait obtenu le complet assentiment des hommes d’état anglais. Lord Palmerston, lord John Russell, sir Robert Peel, disaient à M. de Bunsen que le parlement de Francfort montrait là pour la première fois un véritable esprit politique. Il faut se rappeler en effet que le gouvernement autrichien était dirigé alors par un homme intelligent, audacieux, intraitable, un vrai Bismarck en sens contraire, dont les ambitions

  1. Nous avons raconté ces événemens ici même, à l’heure où ils venaient de s’accomplir. Voyez l’Histoire du parlement de Francfort dans la Revue des 1er juin, 1er juillet, 1er août et 1er octobre 1849.