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issue d’un germe révolutionnaire, une couronne dans le genre de la couronne des pavés de Louis-Philippe[1] ; c’est la couronne qui porte l’empreinte de Dieu, la couronne qui fait souverain par la grâce de Dieu celui qui la reçoit avec le saint-chrême, la couronne qui a fait rois des Allemands par la grâce de Dieu plus de trente-quatre princes et qui associe toujours le dernier oint du Seigneur à l’antique lignée qui le précède. La couronne qu’ont portée les Othon, les Hohenstaufen, les Habspurg, un Hohenzollern peut la porter, cela va sans dire ; elle est pour lui une surabondance d’honneur, un rayonnement de mille années d’éclat. Celle-là au contraire, celle dont vous vous occupez… pour votre malheur, elle est déshonorée surabondamment par l’odeur de charogne que lui donne la révolution de 1848, la plus niaise, la plus sotte, la plus stupide, et non pas cependant, Dieu soit loué ! la plus criminelle des révolutions de ce siècle. Quoi ! cet oripeau, ce bric-à-brac de couronne pétri de terre glaise et de fange, on voudrait la faire accepter à un roi légitime, bien plus, à un roi de Prusse qui a eu cette bénédiction de porter, non pas la plus ancienne, mais la plus noble des couronnes royales, celle qui n’a été volée à personne !

« Descendez en vous-même, très cher Bunsen. Vous êtes un membre déjà ancien de la diplomatie prussienne, vous êtes mon conseiller intime, conseiller non pas honorifique, mais réel, vous avez donc rang parmi la haute noblesse du royaume ; eh bien ! que diriez-vous, que feriez-vous, si, vivant retiré à Corbach[2], vous étiez élevé à la dignité d’excellence par l’assemblée souveraine de la principauté de Waldeck ? Voilà l’image fidèle de ma situation vis-à-vis de Gagern et de son groupe. Vous écririez le plus poliment du monde au parlement souverain de Waldeck : « Ce que vous voulez me donner, vous n’avez pas le droit de le donner. Quant à moi, je le possède et de bonne source et de franc aloi. » C’est là précisément ce que je répondrai.

« Je vous le dis nettement : si la couronne dix fois séculaire de la-nation allemande, après un interrègne de quarante-deux ans, doit être une nouvelle fois donnée, c’est moi et mes pareils qui la donnerons. Et malheur à qui usurperait ce qui ne lui appartient pas ! »


Il y a ici des paroles qui n’auront échappé sans doute à aucun de nos lecteurs : « le roi de Prusse a cette bénédiction de porter, non pas la plus ancienne, mais la plus noble des couronnes royales ! celle qui n’a été volée à personne ! » Ce n’est pas l’histoire qui dit cela ; qu’importe ? C’est le cœur de Frédéric-Guillaume IV. Qu’il prenne ses désirs pour des réalités, cela est trop manifeste ; il nous montre du moins quelle est la noblesse de ses désirs. Et, pour

  1. Ces mots sont en français dans le texte.
  2. La petite ville où était né M. de Bunsen, dans la principauté de Waldeck.