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noter en passant un symptôme sur lequel nous aurons à revenir, n’est-ce pas un fait significatif de voir de telles paroles publiées en ce moment même avec l’autorisation de l’empereur Guillaume ?

Quelques mois après, l’heure approchant où la reconstitution de l’empire d’Allemagne allait être décidément votée par l’assemblée nationale de Francfort, le roi voulut encore s’entretenir avec Bunsen avant de prendre une résolution suprême. Bunsen quitta Londres le 6 janvier 1849, et arriva le 11 à Berlin. Ses premières conversations avec les hommes politiques lui apprirent de singulières nouvelles. Au mois de novembre 1848, c’est-à-dire à l’époque où le roi de Prusse songeait à se faire donner par les princes ce qu’il ne voulait pas recevoir des mains de l’assemblée, le roi de Wurtemberg et le roi de Bavière avaient envoyé à Berlin un diplomate, M. Klindworth, qui semblait être leur représentant direct, mais secret, car ses lettres de créance, écrites et signées par le roi de Wurtemberg, n’étaient contre-signées par aucun ministre. Le but de cette mission, annoncé par l’envoyé lui-même, était d’arriver à une union des princes en dehors de l’Autriche. Le ministère prussien, chargé par le roi de suivre une politique toute différente, et qui pouvait d’ailleurs soupçonner un piège de la part des souverains dévoués à la cause de l’Autriche, refusa d’abord d’entrer en relations avec ce mystérieux ambassadeur. Un personnage que M. de Bunsen ne désigne pas finit par obtenir qu’on voulût bien l’entendre. M. Klindsworth fit connaître les propositions des deux rois, lesquelles se résumaient ainsi : établissement d’un directoire, sous la présidence de la Prusse. « Pauvre idée, disait l’ambassadeur ; mais ce n’est qu’une entrée en matière, nous pouvons en faire à Berlin ce qu’il nous plaira. » Ce qui voulait dire en d’autres termes, suivant l’interprétation de M. de Bunsen : « ils m’envoient ici, mais c’est vous que je veux servir, si vous m’en tenez compte. » Ce langage causa une telle indignation que M. Klindsworth fut immédiatement éconduit. M. de Bunsen, qui rapporte dans son journal cette singulière aventure, ajoute sans ménagement : « Les deux rois jouaient un jeu frauduleux ; le plus faux des deux est le roi de Wurtemberg, dont le baron de Stein, en 1821, me définissait ainsi le caractère : homme faux, absolument faux, le seul mauvais prince qu’il y ait en Allemagne[1]. »

Le roi de Wurtemberg et le roi de Bavière, en feignant d’exclure l’Autriche du projet d’organisation future, étaient-ils d’accord avec le gouvernement autrichien ? le prince de Schwarzenberg, par cette espèce de tentation offerte au cabinet de Berlin, avait-il essayé de

  1. Voyez, dans l’édition allemande des Mémoires de Bunsen, t. II, p. 485.