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de Brandenbourg[1] le mémoire écrit de sa main le 4 janvier, porté à Olmütz le 5 par le comte de Brühl, et la première réponse faite à ce mémoire par le cabinet autrichien. L’Autriche ne voulait entendre parler ni d’une chambre des représentans du peuple (Volkshaus), ni d’une chambre des représentans des états (Staatenhaus). Il fallait faire sauter le parlement de Francfort, établir une restauration militaire, médiatiser l’Allemagne au profit des six rois[2], en un mot accomplir une contre-révolution dont l’Allemagne n’avait pas même l’idée. On voyait par là ce que l’Autriche avait en vue pour son propre compte : elle voulait poloniser l’Allemagne sous l’Autriche et soumettre l’Autriche elle-même à la loi martiale. En lisant cela, je fus comme foudroyé ; je pris tout, le mémoire du roi, la réponse d’Olmütz, afin de mettre mes observations par écrit. » Bunsen espérait toujours que les projets insensés du gouvernement autrichien ramèneraient Frédéric-Guillaume IV vers le parlement de Francfort. Ne voyait-il pas autour de lui les esprits les plus nobles, les adversaires déclarés de toute idée révolutionnaire, considérer comme une inspiration providentielle le grand acte qui se préparait à Francfort ? L’Allemagne, par la main de ses députés, reconstituant l’empire et l’offrant à la Prusse, quoi de plus grand dans l’histoire allemande ? Le représentant de la Prusse à Francfort, M. de Camphausen, — ce n’était pas certes un révolutionnaire, — avait dit récemment à Bunsen : « On s’apprête à enterrer toutes les espérances de l’Allemagne ; je ne remplirai pas l’office de fossoyeur. Puisqu’on ne veut ni l’unité, ni la liberté de l’Allemagne, je m’en irai ; nous partirons, moi et les miens, pour l’Amérique. » Est-ce que Frédéric-Guillaume IV ne devait pas finir par comprendre quelle responsabilité il assumait en poussant à bout les meilleurs citoyens ? M. de Bunsen espérait toujours. Il sut bientôt que ses espérances étaient de pures illusions. Entre le roi et lui, quels que fussent les rapprochemens de l’affection, la distance des principes était infranchissable. Écoutons-le :


« Quel abîme il y avait entre mon opinion et celle du roi sur tout l’ensemble de la question, je ne le sentis clairement que le vendredi 19 janvier 1849, jour où pour la première fois je pus lui faire l’exposé complet de mes idées, seul à seul, sans témoin, dans son cabinet, à Charlottenbourg.

« Mes mémoires et mes lettres, le roi avait tout lu. Il commença par

  1. Le chef du nouveau ministère nommé en novembre 1848 après la défaite d’un nouveau mouvement révolutionnaire.
  2. En réalité, un empereur et cinq rois : l’empereur d’Autriche, les rois de Prusse, de Bavière, de Saxe, de Wurtemberg et de Hanovre.