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douloureux souvenirs. Un habitant de Péronne, M. Ramon[1], donne l’exact détail des réquisitions faites dans les diverses communes ; elles furent écrasantes. Un petit village qui compte à peine 420 habitans, Gueudecourt, eut à livrer dans l’espace d’un mois 2,615 kilogrammes de pain, 400 kilogrammes de viande salée, 2 chevaux, 7 vaches, 48 moutons, 242 poules, 50 lapins, 507 bouteilles de vin, 700 litres d’eau-de-vie et liqueurs, 253 hectolitres d’avoine, 4,000 kilogr. de fourrages et de paille. Ce n’était cependant là que le moindre des maux. Presque toujours, quand les soldats allemands rencontraient des paysans isolés sur leur route, ils les rouaient de coups ; ils les forcèrent en certains endroits à s’atteler aux voitures pour les traîner en guise de chevaux ; ils leur liaient les pieds et les poings, comme ils l’ont fait sans provocation aucune pour M. le baron de Foucaucourt, les jetaient sur le fumier et les laissaient douze heures sans manger. Sous prétexte de chercher des armes, ils brûlaient les meubles, s’emparaient de tous les objets à leur convenance, et quand les habitans voulaient faire quelques observations, ils les accablaient de coups de crosse et de coups de plat de sabre. « Nous savions bien, nous disait l’un des maires de l’arrondissement de Péronne, que la guerre a de dures exigences, et nous nous y soumettions ; mais nous ne pardonnerons jamais les actes de brutalité dont nous avons été victimes sans que rien les ait motivés. On nous vexait de toutes manières pour le seul plaisir de nous faire sentir que nous étions vaincus. » Quelques généraux eux-mêmes, se donnèrent cette satisfaction. A Dompierre, le général de Goeben, logé chez le curé, voulut le forcer de dîner à sa table, et de manger de la viande un vendredi ; le curé refusa, et le général, qui s’était cependant montré fort poli jusque-là envers ses hôtes, se laissa emporter à de telles violences de parole que le digne curé éprouva un saisissement dont il mourut quelque temps après ; mais voici des faits bien autrement graves.

Les habitans de Fay, Estrées et Foucaucourt, communes situées entre Amiens et Péronne, avaient formé un petit corps-franc qui fit bravement la guerre d’embuscade. Le 11 décembre, ils reçurent à coups de fusil des patrouilles de uhlans. Le surlendemain, 400 hommes d’infanterie avec quatre canons et quelques cavaliers arrivèrent devant Foucaucourt ; 35 francs-tireurs de Lameth,

  1. M. Gustave Ramon a recueilli, commune par commune, dans l’arrondissement de cette ville, tous les faits qui se rattachent à l’invasion ; il a écrit jour par jour l’histoire du siège de Péronne, et son livre, plein de faits curieux et toujours très exactement renseigné, sera consulté avec fruit par toutes les personnes qui voudront se faire une idée exacte de la guerre de 1870-71 dans le nord, et des souffrances qu’elle a imposées aux populations.