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la rencontre de nos troupes, et, comme elle était beaucoup mieux outillée, elle marcha plus vite, laissant ses bagages en arrière, à portée de ses colonnes. Le 17, quelques bataillons de la division von Barnekow vinrent s’établir dans un bois, auprès du village de Templeux ; ils furent promptement délogés. Le lendemain, il fallut soutenir de nouveaux combats à Beauvois et à Vermand. Plusieurs brigades s’étaient battues toute la journée sans prendre un instant de repos. Nous avions perdu plus de 500 hommes à Vermand, et le lendemain 19 l’armée du nord livrait bataille autour de Saint-Quentin, après des combats incessans, des fatigues inouïes et des privations qui avaient mis un grand nombre d’hommes hors d’état de marcher ou de porter leurs armes.

Pour se rendre un compte exact des titres de l’armée du nord et de ses généraux à la reconnaissance du pays, il faut d’abord établir d’une manière précise le chiffre de son effectif à la bataille de Saint-Quentin. Cet effectif se composait de 24 bataillons de troupes de ligne, 18 de mobiles, 14 de mobilisés, 4 escadrons et 2 pelotons de cavalerie, 15 batteries, dont 10 de l’artillerie régulière et 5 de l’artillerie mobile, sur laquelle 3 étaient formées avec les faibles pièces dites de montagne. Au 4 janvier, les bataillons de chasseurs étaient de 500 hommes environ, les bataillons de ligne de 400 hommes, les bataillons de mobiles et de mobilisés de 600 hommes ; mais le 19 janvier cet effectif était déjà notablement réduit, et en somme on peut dire que notre armée sur le champ de bataille de Saint-Quentin ne dépassait pas 31,000 hommes. Les 14 bataillons de mobilisés ne doivent même figurer dans ce nombre que pour mémoire, non pas que le courage leur ait manqué, mais, à de très rares exceptions près, les officiers nommés à l’élection se distinguaient par la plus profonde incapacité ; des garçons meuniers qui n’avaient jamais servi figuraient parmi les capitaines[1], les hommes étaient armés de vieux fusils à baguette d’une portée de moitié moindre que celle des fusils prussiens, et le seul parti qu’il fût possible d’en tirer, c’était de les montrer de loin à l’ennemi, en manière de réserve, ce que du reste le général Faidherbe fit toujours avec beaucoup d’habileté. Déduction faite des 14 bataillons de mobilisés, des tués et des blessés de Templeux, Vermand et Beauvois,

  1. Il est curieux de voir comment les mêmes faits se reproduisent à la distance des siècles : avant le concordat de François Ier, quand les moines avaient encore le droit d’élire leurs abbés, ils avaient soin de choisir de préférence ceux qu’ils croyaient le mieux disposés à laisser violer la règle ; ils prenaient même quelquefois comme le dit un chroniqueur du XVIe siècle, les meilleurs biberons, afin de boire eux-mêmes plus à leur aise. Il en fut malheureusement trop souvent ainsi parmi les mobiles et surtout parmi les mobilisés. On a peine à comprendre que, par une sorte de fétichisme pour les souvenirs de la révolution, on se soit obstiné à maintenir un système qui est la ruine de toute organisation militaire.