Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 106.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des hommes qui n’avaient pu suivre, il restait environ 21,000 combattans effectifs. Cette faible armée prit position en demi-cercle au sud et à l’ouest en avant de Saint-Quentin ; son aile droite, à cheval sur la route de Cambrai, s’appuyait au village de Remaucourt ; son centre faisait face aux villages de Selency, Francilly et Dallon ; il était séparé de l’aile gauche par le canal de la Somme, ce qui rendait les communications difficiles entre les divers corps, et cette aile elle-même s’étendait depuis le canal jusqu’à la route de Guise. Notre faiblesse numérique ne nous permettait pas de prendre l’offensive : il fallait se borner à défendre les positions, ce qui fut fait avec la plus grande vigueur.

Si les généraux prussiens avaient manœuvré pour tourner Saint-Quentin et s’ils avaient attaqué par le nord, ils avaient la chance de nous rejeter sur la ligne de la Somme et sur Amiens, et c’en était fait de l’armée de Faidherbe ; mais dans tout le cours de cette campagne ils ne cherchèrent jamais de savantes combinaisons, ils répétèrent partout la même manœuvre, comme une leçon apprise par cœur. De même qu’à Villers-Bretonneux et à Pont-Noyelles, leur armée se déploya parallèlement à notre front en cherchant à nous déborder par les deux ailes, ce qui leur était facile en raison de leur supériorité numérique, car ce n’est point exagérer que de porter leurs forces à 60,000 hommes. Ils avaient mis en batterie cent soixante et une pièces de 8 et de 9, qui tirèrent 7,282 coups, et cependant, malgré ce luxe de projectiles, malgré l’énorme disproportion de l’effectif, ils furent sur certains points repoussés quatre fois, et même six fois, comme sur les hauteurs de Gauchy. Leur cavalerie, qui ne comptait pas moins de cinquante-trois escadrons, avait tenté quelques charges, elle échoua partout[1]. Notre artillerie, admirablement servie, luttait avec succès, mais de continuels renforts arrivaient aux Allemands ; un corps d’infanterie considérable, envoyé de Paris par le chemin de fer, entrait en ligne vers quatre heures sous les ordres du général Memerty. Nous n’avions point de réserves à opposer à ces masses qui grossissaient toujours, et dont quelques-unes se portaient vers la route de Cambrai pour couper notre ligne de retraite. Nos troupes continuaient à tenir bon, quoique le cercle se resserrât de plus en plus, lorsque le chef d’état-major du 23e corps arriva au galop près du général Faidherbe. « Jusqu’ici, lui dit-il, nous avons arrêté l’ennemi, mais cela ne peut durer longtemps, que faut-il faire ? —

  1. La cavalerie prussienne montra pendant toute la campagne une merveilleuse aptitude pour le service d’éclaireurs ; mais, chaque fois qu’elle combattit en ligne, elle fut d’une extrême faiblesse. Ou l’a vu à Gomiécourt, à Vermand, à Vraignes, à Saint-Quentin. Cuirassiers blancs ou hussards vinrent se briser contre la ligue ou les mobiles, et plusieurs fois ils tournèrent bride, même avant d’avoir reçu le feu.