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Réapprovisionner les cartouchières et les caissons, et tenir bon. — Mais nous serons refoulés sur Saint-Quentin ! — je le sais bien. — Et que ferons-nous après ? — Nous recommencerons la lutte. — Mais, mon général, alors c’est Sedan ! — Pas du tout : nous brûlerons toutes nos cartouches, nous ferons sauter le matériel, et, quand nous n’aurons plus de munitions, nous nous défendrons à la baïonnette. Ceux qui pourront se sauver se sauveront, ceux qui seront cernés ou n’auront plus la force de se battre ou de se sauver se laisseront prendre ; néanmoins on ne se rendra pas. — Est-ce votre dernier mot, mon général ? — Oui ; les journaux se moquent de nous, et disent que nous nous replions toujours. Eh bien ! cette fois nous ne nous replierons pas[1]. » Il ne dépendit pas du général Faidherbe que cette énergique résolution ne s’accomplît. Il venait de donner l’ordre aux soldats du génie d’élever des barricades à l’entrée des faubourgs de Saint-Quentin pour résister dans cette ville jusqu’à la dernière extrémité, lorsqu’il apprit que le général Lecointe, qui commandait le 22e corps et n’avait point été informé de sa résolution, battait en retraite. Ce brave officier avait fait des efforts extraordinaires, mais de nouvelles batteries prussiennes venaient d’ouvrir leur feu, elles le prenaient d’écharpe et à revers ; il était fortement menacé sur ses derrières, et pour sauver son corps d’armée il se replia dans le plus grand ordre, en se couvrant par une ligne de tirailleurs que dirigeait avec sa vigueur habituelle le général Derroja. Le 23e corps suivit le mouvement, et l’armée tout entière traversa Saint-Quentin, emmenant avec elle ses quinze batteries intactes. Pendant que les troupes chargées de couvrir la retraite défendaient les barricades, les Prussiens lancèrent sur la ville une grêle d’obus, ce qui produisit au milieu des convois qui défilaient à travers les rues un indescriptible désordre ; néanmoins les barricades tenaient toujours, et l’armée française avait complètement évacué Saint-Quentin lorsque l’infanterie prussienne y fit irruption de tous côtés. Un bataillon du 33e et un demi-bataillon de fusiliers de marine qui continuaient de combattre dans le faubourg Saint-Martin furent pris à revers et forcés de se rendre avec quatre petites pièces de montagne mises en batterie sur les barricades.

Les dépêches prussiennes avaient annoncé une poursuite à outrance. « Aujourd’hui nous avons combattu, disaient-elles, demain il nous faudra marcher pour achever la déroute. » Le général de Goeben avait sous la main 5,300 hommes de cavalerie, et s’il les eût lancés sur nos colonnes en retraite, ils y auraient sans aucun doute causé de grands ravages, car nos soldats harassés par quatre jours de marche et de combats incessans n’auraient pu soutenir le

  1. Les paroles que nous rapportons ici sont textuelles, mais par une modestie qui l’honore le général Faidherbe n’en parle pas dans sa brochure.