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LA BARINA OLGA
RECIT DE LA PETITE-RUSSIE

C’était par une claire et tiède nuit d’août : je revenais de la montagne, le fusil sur l’épaule ; mon grand chien noir, de race anglaise, me suivait fatigué, tirant la langue. Nous avions perdu la route. Plus d’une fois, je m’arrêtai pour m’orienter ; le chien alors s’asseyait et me regardait.

Devant nous s’étendait un pays doucement ondulé de collines boisées. Au-dessus des arbres noirs se montrait le disque rouge de feu de la lune dans son plein. D’orient en occident, tranquille et majestueux, coulait le fleuve scintillant des étoiles ; au nord, la Grande Ourse brillait tout près de l’horizon. De légères vapeurs montaient d’un petit marais bordé de saules, où tremblait une lumière verdâtre ; dans les roseaux se faisait entendre la voix plaintive du butor. À mesure que nous avancions, le paysage s’éclairait de plus en plus ; les rideaux d’arbres s’effaçaient des deux côtés, et la plaine s’étalait sous nos yeux comme une mer verte au sein de laquelle flottait, semblable à un navire avec ses voiles dehors, une maison blanche entourée de hauts peupliers. De temps à autre, la brise m’apportait un son chargé d’une pénétrante mélancolie. Je reconnus bientôt des fragments de la sonate du Clair de lune de Beethoven. C’étaient des larmes qui se répandaient en sons : tout à coup une dissonance désespérée, puis l’instrument se tut. Une centaine de pas me séparaient encore de la petite maison solitaire, dont les peupliers bruissaient tristement. Un chien agitait sa chaîne ; au loin, un ruisseau murmurait sa mélancolique chanson.

Je vis paraître une femme sur le perron. Elle vint s’accouder sur la balustrade, et ses regards sondèrent l’obscurité de la nuit. Elle