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seul désir. Jamais elle n’a eu tant de petits soins pour lui ; elle s’efforce de le dédommager par mille câlineries. Cependant des rumeurs fâcheuses sont venues jusqu’à l’oreille de Mihaël ; il a confiance en sa femme, mais il ne plaisante pas sur le chapitre de l’honneur ; chaque goutte du poison que la calomnie lance sur la réputation d’Olga, il la sent comme une brûlure.

Il se refroidissait visiblement. Lorsqu’il voyait arriver une visite, sans rien dire il sortait par la porte de derrière. Peu à peu il cessa d’accompagner Olga dans ses excursions. Au printemps suivant, avec quelques autres propriétaires du district, il fonda un cercle agricole, introduisit des perfectionnements dans son exploitation, s’abonna à une foule de journaux, se mit à frayer avec les paysans, à hanter leurs cabarets, car il songeait alors à se faire nommer député à la diète. Après la moisson, il alla souvent à la chasse tout seul avec son chien ; parfois il rentrait tard dans la nuit ; Olga était couchée, mais ne pouvait s’endormir, et le cœur lui battait pendant qu’elle guettait son retour. Lui était persuadé qu’elle dormait, et il gagnait sa chambre sans faire de bruit. Jamais encore elle n’avait pris tant d’intérêt à tout ce qu’il faisait ; ses moindres actes avaient à ses yeux une signification. Lorsqu’il était parti, elle parcourait les journaux qu’il avait lus, elle feuilletait ses livres.

Elle commence à soupçonner l’amour, à se dire qu’elle pourrait aimer son mari. Maintenant qu’elle prend si peu de place dans ses pensées qu’il peut passer des heures à s’entretenir avec des paysans qui sentent horriblement le cuir de Russie, tandis qu’il n’a pas une parole pour elle, maintenant qu’elle peut rester à côté de lui des soirées entières sans qu’il daigne lever les yeux de son livre, qu’il peut la quitter le soir sans l’embrasser, maintenant elle a soif de son amour ! Elle imagine des négligés coquets, elle veut à tout prix fixer son attention ; elle se jure qu’il l’aimera ! Rien n’y fait. Il lui reste un dernier moyen : le rendre jaloux. ― Mais où trouver celui qui pourrait exciter la jalousie de cet homme si froid, si sûr de lui ? Elle cherche autour d’elle et ne trouve point.

Un soir, elle aperçut Mihaël debout devant la haie du jardin ; il regardait avec tristesse le soleil qui disparaissait derrière les bois, et dont les derniers rayons doraient les pointes des herbes échappées à la faux et les feuilles mobiles des arbres. Soudain elle lui jeta un bras autour du cou, et s’empara de sa main, qui aussitôt, de chaude qu’elle était, devint toute froide.

― Pourquoi n’es-tu pas avec moi ? dit-elle avec abandon. Tu me fuis. Est-ce que je te déplais comme je suis ? Comment veux-tu que je sois ? M’aimes-tu encore ?

Mihaël lui caressa la joue, et se mit à regarder le paysage. Elle l’étreignit dans un élan de passion, et l’embrassa. Il se dégagea