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viande que nous. Cette différence entre eux et nous n’est pas une affaire de mœurs ou de race, comme on le croit trop souvent; c’est simplement une conséquence des aptitudes du sol que nous habitons. Il est probable au surplus que le bas prix et la facilité des transports, ainsi que les perfectionnemens introduits dans les méthodes de culture, rétabliront peu à peu l’équilibre.

Après la viande et le blé, il n’est pas de production plus intéressante que celle de la vigne. Dans notre pays même, le vin n’entre-t-il pas à plus forte dose que la viande dans l’alimentation du peuple? Mais la vigne est une culture délicate. Sous notre climat elle ne dépasse pas l’altitude de 350 mètres; elle n’aime pas les marais, les terrains frais, les brouillards, le voisinage de la mer. Il lui faut des terrains en pente, bien drainés par le sous-sol, une bonne exposition, telle que le sud-est, des vallées larges et ouvertes. Elle est donc exclue du Morvan, de la Normandie, de la Beauce, des plateaux crayeux et oolithiques et des argiles de la Champagne humide; elle ne se plaît ni dans la Brie, ni dans le Soissonnais, ni aux environs de Paris, où elle est cultivée cependant à toutes les expositions et sur tous les coteaux, par le seul motif que le voisinage de la grande capitale donne de la valeur aux plus mauvais produits de la fermentation alcoolique.

Le vrai terrain de la vigne, ce sont en Bourgogne les coteaux un peu raides du terrain jurassique, lorsqu’ils ne sont pas trop élevés au-dessus du niveau de la mer, qu’ils sont bien exposés au soleil, en regard de grandes vallées. Tel est sur le versant oriental le site des crus fameux de la Côte-d’Or, Chambertin, Glos-Vougeot, Romanée. Tels sont aussi, plus au nord, mais avec un bouquet moins délicat, — qui pourrait en donner la raison ? — les vignobles estimés de l’Auxerrois, du Tonnerrois, de Chablis, tous compris dans la vallée de l’Yonne ou de ses affluens. On ne saurait dire pourquoi les vallées de la Seine, de l’Aube et de la Marne donnent dans des conditions identiques des vins moins généreux.

Le terrain crétacé inférieur, pays plat, couvert d’étangs, de forêts et de prairies humides, où la vigne est presque inconnue, sépare nettement les vignobles de la Bourgogne de ceux de la Champagne. La craie blanche est une contrée trop plate; elle ne donne guère de vin que pour la consommation locale. C’est autre chose quand on arrive à la falaise crayeuse qui sépare la Champagne de la Brie et du Soissonnais. C’est là que se groupent, autour de Reims et d’Épernay. Cramant, Ay, Bouzy, Verzenay. C’est là qu’est le centre de production du vin mousseux que l’on a pu imiter, mais non pas égaler en d’autres pays. Ici se montre encore l’influence du sol et de l’atmosphère. Au sud de la petite ville de Vertus, la falaise champe-