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journal, il remarque qu’ils échangent un regard de folle tendresse. Au même moment, il sent que le pied de sa femme touche le sien. ― C’est mon pied, dit-il simplement, ― puis il se lève, les traits horriblement contractés, et sort lentement.

― Tu nous as trahis, dit Vladimir à voix basse.

― Je le crains moi-même. Tant pis, il saura tout. Désormais je suis tienne, toute, toute à toi ! ― Vladimir lui prend la main, qu’il embrasse tendrement. ― Ah ! que je t’aime ! Il faut que tu restes ; j’ai tant de choses à te dire.

― Pas cette nuit, je t’en conjure ; j’ai un mauvais pressentiment.

Mihaël avait toussé avant de rentrer. Il vint prendre son thé, puis se plaignit d’avoir la migraine. ― Allons nous coucher, dit-il d’une voix sourde.

Vladimir prit congé de ses hôtes et se retira dans sa chambre, où il se jeta tout habillé sur son lit. Un peu après minuit, il entendit sur la terrasse le frôlement d’une robe. Il ouvrit la fenêtre et ne vit rien. Tout à coup Olga sortit de l’ombre qui la cachait, et lui saisit les deux mains. ― Voilà ton mauvais pressentiment, dit-elle en riant.

Vladimir ne répondit pas, la fit entrer, regarda le jardin avec défiance et referma la fenêtre. Olga s’était assise. ― On dirait que je te fais peur, ce soir ? Et elle lui jeta ses deux bras comme un lacet autour du cou.

― J’étouffe ici, dit-elle au bout de quelques minutes, rouvrons la fenêtre.

Vladimir hocha la tête. ― Qu’as-tu donc ? On dirait que tu crains mon mari ? ― Elle se mit à rire, et courut elle-même ouvrir la croisée.

― Je t’en prie, Olga, va-t’en, répétait Vladimir. ― Si tu m’aimes un peu, obéis-moi. Elle secouait la tête et jouait avec ses cheveux. Soudain, à un mouvement qu’il fit, elle se retourna : son mari était debout devant eux. Elle recula épouvantée, Vladimir bondit pour s’interposer.

― Tu peux te dispenser de la protéger, dit Mihaël d’un ton glacial. Elle n’a rien à craindre. Rentrez chez vous, madame ; nous avons deux mots à nous dire sans témoins.

Olga sortit, après avoir arrêté un long regard douloureux sur Vladimir, dont les yeux rayonnaient d’un feu sombre. Elle s’enferma et se jeta sur son lit, en proie au plus horrible désespoir. Elle entendit son mari gagner sa chambre, puis le galop d’un cheval ; ensuite un silence assez long. Enfin le pas ferme de Mihaël résonna de nouveau dans le corridor ; elle entendit son cheval noir hennir dans la cour, et quelques secondes après il était sur la grande route.