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comme son père. On a constaté enfin l’hérédité de l’écriture. Il y a des familles où l’usage spécial de la main gauche est héréditaire. Les particularités diverses des états sensoriels se transmettent de la même manière. Presque tous les membres de la famille des Montmorency étaient affectés d’un strabisme incomplet qu’on appelait la vue à la Montmorency. L’incapacité de distinguer les diverses couleurs est notoirement héréditaire : le célèbre chimiste anglais Dalton et deux de ses frères en étaient affectés ; aussi cette affection a reçu le nom de daltonisme. La surdité et la cécité sont quelquefois héréditaires, quoique rarement ; la surdi-mutité l’est encore plus exceptionnellement. On a cité quelques exemples curieux de transmission de certaines perversités du goût. M. Lucas rapporte, d’après Zimmermann, le fait que voici : en Écosse, un homme était entraîné par un penchant irrésistible à manger de la chair humaine. Il eut une fille. Quoique séparée de son père et de sa mère, qui furent condamnés au feu avant qu’elle eût un an, quoique élevée au milieu de personnes respectables, cette jeune fille succomba, comme son père, à l’incroyable besoin de manger de la chair humaine. Ce fait touche évidemment à la folie.

La folie se transmet certainement par hérédité. Esquirol a trouvé sur 1,375 aliénés 337 cas de transmission héréditaire. Guislain et d’autres médecins estiment d’une façon générale que le nombre des individus atteints d’aliénation héréditaire représente le quart des malades. M. Moreau (de Tours) et d’autres admettent que la proportion est plus considérable. L’hérédité de la folie ne comprend pas seulement la transmission directe de l’aliénation proprement dite : l’hystérie, l’épilepsie, la chorée, l’idiotie, l’hypochondrie, peuvent provenir de la folie, et réciproquement celle-ci peut les reproduire. En passant d’une génération à l’autre, ces diverses névroses se transforment en quelque sorte l’une dans l’autre[1]. Herpin (de Genève) a constaté, chez les ascendans de 243 épileptiques, 7 épileptiques, 21 aliénés et 27 individus qui avaient eu des affections cérébro-spinales ; Georget a tiré de nombreuses observations faites à la Salpétrière la conclusion que les femmes hystériques avaient presque toujours parmi leurs proches parens des hystériques, des épileptiques, des hypochondriaques, des aliénés. M. Moreau a

  1. La simple ivresse alcoolique peut se transformer en névroses profondes. Les enfans conçus pendant un accès aigu d’ivresse sont souvent épileptiques, aliénés, idiots, etc. Ces faits avaient été observés depuis très longtemps. Une loi de Carthage défendait toute autre boisson que l’eau le jour de la cohabitation maritale, et Amyot dit que « l’ivrogne n’engendre rien qui vaille. » Des travaux récens et précis ont démontré que l’enfant engendré dans un accès de délire alcoolique même transitoire porte toujours les stigmates indélébiles d’une dégénérescence plus ou moins profonde.