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anciens. — Montaigne s’en émerveille. « Quel monstre, dit il, est-ce que cette goutte de semence, de quoy sommes produits, porte en soy les impressions non de la forme corporelle seulement, mais des pensemens et inclinations de nos pères ? Cette goutte d’eau, ou loge-t-elle ce nombre infiny de formes ? et comment porte-t-elle ces ressemblances d’un progrez si téméraire et si desreglé que l’arrière petit fils répondra à son bisaïeul, le nepveu à l’oncle ? » L’étonnement de Montaigne est légitime, et on ne connaît pas plus aujourd’hui qu’au XVIe siècle les causes de ces bizarres transmissions.

Tels sont les faits. C’est en vain qu’on les multiplierait ou qu’on les commenterait pour en changer le caractère. Les exemples d’hérédité ne seront jamais, dans le domaine psychologique, que des exceptions, comparés à ceux qui en représentent la contre-partie. Or, si ce sont des exceptions, de quel droit établit-on l’hérédité comme loi générale du développement de l’activité intellectuelle, de quel droit affirme-t-on qu’ici l’hérédité est la règle et la non-hérédité l’exception ? M. Ribot accumule les argumens les plus subtils pour étayer cette singulière proposition, mais il y perd son temps et son talent. De quelque façon qu’on explique comment l’hérédité des aptitudes intellectuelles est vaincue presque constamment par des causes antagonistes ou perturbatrices, elle n’en est pas plus victorieuse. Par quelques raisons ingénieuses qu’on se console de voir la souveraineté idéale de l’hérédité réduite, dans la nature des choses, à une très médiocre autorité, celle-ci n’en est pas plus grande. Bref, si en fait la non-hérédité a beaucoup plus d’empire que l’hérédité, on se demande pourquoi M. Ribot adopte une formule qui implique tout le contraire.

Est-ce que d’ailleurs le spectacle du développement de la civilisation n’atteste pas à lui seul l’efficacité prépondérante, au sein de l’homme, d’une éternelle tendance à la métamorphose, à l’innovation, au changement ? La fixité des pensées et l’immobilité des habitudes ont été, il est vrai, la loi des peuplades primitives, et sont encore aujourd’hui celle des tribus sauvages ; mais d’abord rien ne prouve que l’hérédité en soit cause. Cette répétition plus ou moins longue de sociétés identiques paraît plutôt devoir être attribuée à l’instinct irrésistible et puissant de l’imitation et au respect absolu des rites et des coutumes décrétés par la religion. Chez ces peuples, l’avenir ne ressemble au présent et le présent au passé que parce que la même règle inflexible, la même autorité et