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qu’appartient, dans la plupart des cas, le pouvoir de réaliser la ressemblance morale et psychologique des enfans et des parens. Si l’hérédité déterminait irrésistiblement et sûrement chez les descendans la reproduction de tous les caractères constitutifs de la personnalité des ascendans, l’éducation serait inutile. Du moment que l’éducation, et une éducation prolongée, vigilante, laborieuse, est indispensable pour provoquer l’apparition et réaliser le développement des aptitudes et des qualités de l’esprit chez l’enfant, il faut bien conclure que l’hérédité ne joue qu’un rôle secondaire dans cette admirable genèse de l’individu moral. Cet argument est irréfutable. Que les influences héréditaires s’accusent par des prédispositions, par des tendances déterminées, il serait peu scientifique de le nier ; cependant il serait tout aussi inexact de prétendre qu’elles contiennent implicitement les états futurs, et gouvernent l’évolution de l’être psychique.

Rien de plus compliqué que l’éducation. Il ne peut être question ici d’en approfondir l’économie générale, qui a fait l’objet de tant d’écrits. L’importance qu’on attache partout aux ouvrages de pédagogie est à elle seule une protestation contre l’abus des théories héréditaristes. Quelques détails nouveaux sur un des ressorts principaux de l’éducation, sur l’instinct d’imitation, et la part qu’il a dans le développement des individus et des races, suffiront pour faire apprécier l’énergie dés influences étrangères à l’hérédité.

Un savant historien anglais, M. Bagehot, a écrit récemment des pages excellentes pour montrer combien l’imitation inconsciente d’un caractère ou d’un type préféré et la faveur générale accordée à ce caractère ou à ce type, dont le public copie instinctivement les traits, ont d’influence dans la formation des coutumes et des goûts, en même temps qu’ils en expliquent les révolutions périodiques. D’après lui, un caractère national n’est qu’un caractère local qui a fait fortune, exactement comme la langue nationale n’est que l’extension durable d’un dialecte local. Rien de plus réel que la force de cette tendance à l’imitation, grâce à laquelle, dans l’industrie, dans les arts, dans la littérature, dans les mœurs, certaines manières de faire, inventées dans des conditions très particulières, prennent un ascendant général et s’imposent rapidement d’abord à la foule docile et irréfléchie, puis aux personnes les plus capables d’examen et de résistance. Il convient à ce propos de remarquer que l’élite est presque toujours contrainte d’obéir aux goûts et aux exigences de la masse, sous peine d’être ignorée ou dédaignée. Un écrivain imagine un genre que le public accueille avec enthousiasme ; c’est une veine. Il accoutume les lecteurs de ses livres, les spectateurs de ses pièces à ce genre, bon ou mauvais, et voilà pour un temps tous les auteurs plus ou moins