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On voit par ces détails que cette force instinctive et énergique d’imitation, dont le rôle est si grand dans l’éducation des individus et des races, diffère complètement de l’hérédité. Elle peut agir, et elle agit de concert avec les impulsions héréditaires, mais elle travaille bien plus souvent d’une façon indépendante et même opposée. Cela n’est pas moins vrai d’une autre force, rivale plus résolue, antagoniste plus puissante de l’hérédité, et dont il faut maintenant considérer l’ouvrage : c’est la personnalité.

Instrument par excellence de la libre invention, ressort indéfectible de la spontanéité innovatrice, la personnalité individuelle de l’esprit peut être désignée, par opposition au mot hérédité, sous le nom d’innéité. Pour donner une idée de la puissance de l’innéité comparée à celle de l’hérédité, on pourrait dresser des listes où l’on rangerait les cas dans lesquels la manifestation des diverses passions ou des divers talens ne procède point des ancêtres, dans lesquels l’individu est né distinct de ses ascendans ou s’en est distingué par la réaction de sa propre volonté. Ces listes seraient infinies parce que, contrairement à l’opinion des partisans de l’hérédité absolue, c’est l’innéité, c’est l’activité personnelle qui est la règle générale dans l’évolution de l’esprit. En somme, — et ceci est essentiel, — l’hérédité a sa racine dans l’innéité, car enfin ces aptitudes, ces qualités que les ascendans transmettent, à partir d’un certain moment et pour une durée plus ou moins longue, à leurs descendant, ces aptitudes et ces qualités ont nécessairement pris naissance à ce moment par l’essor spontané d’une volonté plus ou moins indépendante. On cite d’une part des fous, des hystériques, des épileptiques, de l’autre des peintres, des musiciens, des poètes, qui tiennent évidemment de leurs parens l’activité ou malfaisante ou bienfaisante qui les caractérise. A merveille, mais la question est maintenant de savoir d’où les parens eux-mêmes la tenaient à leur tour, et s’il n’est pas nécessaire de s’arrêter dans l’examen rétrospectif de l’ascendance à un point où l’innéité a été souveraine. Cette souveraineté est d’autant moins contestable qu’elle ne tarde pas à reparaître d’ailleurs dans la descendance. Les effets de l’hérédité ont une fin comme ils ont un commencement : ils triomphent d’abord de l’innéité, dont ils suspendent l’influence, puis, ils s’épuisent, et celle-là reprend ses droits. Ainsi l’innéité est la force continue et permanente, tandis que l’hérédité est la force intermittente et transitoire. La nature humaine, considérée dans les siècles, est une succession d’âmes libres, d’autant plus libres qu’elles ont moins besoin, pour vouloir et pour agir, du concours des puissances mécaniques ou organiques. Quand elles requièrent un tel concours, elles abdiquent une partie de leur indépendance innée au profit des influences aveugles de l’hérédité.