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pour que tout soit sauvé. Il y a des monarchistes qui ressemblent étrangement à ces républicains. Pour eux, c’est la monarchie qui sauve tout ; dès qu’ils l’entrevoient, ils ne s’inquiètent plus de rien. Avec la royauté, l’Internationale disparaît, le radicalisme cesse d’être un danger, le bonapartisme n’est plus qu’un fantôme avec lequel on n’a plus même à compter. Pourvu qu’on ait le roi, c’est l’essentiel. La famille royale a retrouvé son unité à Frohsdorf, que veut-on de plus ? Eh ! sans doute l’entrevue de Frohsdorf est quelque chose. Que le pacte de famille des princes soit signé, ce n’est pas tout cependant. Le pays est un peu plus difficile ou un peu plus positif, parce que, malgré des entraînemens de circonstance, il n’a ni les fanatismes de parti ni les illusions des coteries politiques. Le pays aurait certainement accepté et il accepterait encore la république, si elle lui offrait les garanties d’un gouvernement sérieux et régulier, si elle lui donnait la paix et la sécurité ; mais il est bien clair qu’il est peu disposé à goûter tout ce qu’on lui présente sous ce nom, et si la république est aujourd’hui assez précaire, si M. Thiers a échoué dans sa tentative, beaucoup de républicains peuvent se flatter d’avoir contribué à créer cette situation. De même sans doute le pays accepterait la monarchie, mais sûrement il ne la cherche pas à tout prix, à toutes les conditions ; il est encore moins prêt à se laisser entraîner dans toutes les aventures. Il est fondé à demander où on veut le conduire, par quels chemins on veut le faire passer. C’est là précisément le mystère de la situation de la France aujourd’hui.

Une chose est bien certaine : l’entrevue de Frohsdorf a posé des problèmes qu’on ne peut plus éluder. La question est maintenant de savoir ce qu’on peut faire et comment on veut le faire. Précisons le point essentiel et décisif. Par la démarche de M. le comte de Paris, l’idée constitutionnelle n’a plus pour le moment ce qu’on pourrait appeler sa représentation particulière et dynastique dans l’ensemble des combinaisons possibles en France. Il s’agit de savoir si cette monarchie reconstituée dans son unité par l’entrevue de Frohsdorf est décidée à être elle-même la vivante et large représentation de ces idées, de ces garanties qui se résument dans ce mot de régime constitutionnel. Voilà au fond la première de toutes les questions. Ah ! sans doute, si on le veut, si on offre à la France un régime fait pour la désintéresser dans ses idées et dans ses instincts, réunissant les garanties d’une certaine stabilité de pouvoir traditionnel et les garanties de sérieuses institutions libérales, si à ce pays éprouvé, fatigué et en définitive toujours sensé, on sait parler le langage d’une virile et cordiale sincérité, l’opinion peut se laisser convaincre. La France, qui a tout essayé, qui n’a point de parti-pris, peut arriver à comprendre que la différence n’est pas si grande entre une république constitutionnelle, conservatrice, et une monarchie parlementaire, libérale, que celle-ci, largement et fidèlement pratiquée, a de moins l’inconvénient des périodiques compétitions de pouvoir, des