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rentré alors dans la capitale, et j’allais souvent regarder la maison que j’avais habitée avec elle. Un obus avait ouvert la petite chambre rose et blanche sous les toits ; les murailles trouées à jour permettaient de distinguer la dorure du miroir, adhérente encore par places. Un autre obus avait fait du joyeux petit théâtre où j’avais joué à Paris, la première et la dernière fois, une ruine fumante. Et il y avait si peu de temps !… grand Dieu ! Dans ces momens-là je me demandais : — Pourquoi l’avoir épargné ?

Tous ceux que j’avais connus étaient tués ou morts de besoin ; je ne voulais pas de nouveaux amis, je me tenais à l’écart de tout. Néanmoins un jour vint où j’eus à prendre parti. Tant que l’on est sur terre, on ne peut se montrer poltron. Une autre guerre éclata, la guerre civile. Je choisis le parti populaire ; je restai à Paris. Le peuple avait-il raison ? avait-il tort ? Je n’en sais rien, mais je lui appartenais.

Je ne faisais pas de politique, je demandai à peine ce que l’on se proposait. J’aurais trouvé lâche d’abandonner mes frères, mes pareils, voilà tout. Cette horrible saison s’écoula lentement, lentement… C’était hier, dites-vous ; je crois qu’il y a mille ans.

Le second siège fut pire que le premier. Je ne doutais pas qu’il ne fût à Versailles, et chaque jour je me disais : — Il sera inutile de l’épargner maintenant.

Du haut des bastions où flottait le drapeau rouge, je regardais à travers la fumée de la fusillade les bois de Versailles en songeant : — Si nous pouvions nous rencontrer encore une fois, une seule fois ! — car j’étais libre désormais ; les siens étaient contre les miens. Cette pensée donnait du nerf à mon bras pour la commune.

Les rues ruisselaient de vin et de sang, la populace était ivre d’une ivresse sauvage. On pillait les palais, on profanait les églises. Je me battais hors des portes quand c’était possible ; le reste du temps, je m’enfermais afin de ne pas voir ni entendre ; je souffrais pour la France autant que je pouvais souffrir encore !

Un jour que je revenais des fortifications, je passai dans une rue qui avait été presque entièrement détruite : les maisons n’étaient plus que des monceaux de décombres calcinés. Peut-être y avait-il dessous les cadavres de leurs malheureux habitans. C’était d’une désolation inexprimable. Cependant sur toutes ces ruines une chose charmante survivait. De ce qui avait été un petit jardin s’élançait un jeune lilas en pleine fleur, seul dans ce naufrage.

Pour la première fois depuis qu’elle m’avait quitté, je tombai à genoux, je cachai ma tête dans mes mains, je pleurai comme pleurent les femmes.

La fin était proche.