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REVUE DES DEUX MONDES.

ses camarades, il accepta le combat comme je l’offrais. Tombant en garde : — Je suis prêt, dit-il.

Le feu nous environnait de tous côtés, les morts étaient nos seuls témoins ; le petit lilas se berçait au vent. Nos épées se croisèrent une dizaine de fois, puis il tomba. Son corps se ploya tel qu’une branche brisée. L’acier avait percé sa poitrine. J’étais vengé.

Ce fut un combat loyal d’homme à homme.

Il me regarda en s’affaissant sur le pavé, un sourire étrange effleura ses lèvres : — Vous étiez vengé déjà, murmura-t-il lentement, et chaque mot, chaque souffle passait avec effort. Ne le saviez-vous pas ? Elle m’a trahi l’automne dernier… Elle avait un amant parmi les Prussiens, un plus grand personnage que moi. — Un flot de sang l’étouffa. Il demeura silencieux, appuyé sur une de ses mains, le reflet des flammes sinistres se jouant sur son visage. Tout à coup la rue se remplit de soldats, les siens. Ils m’entourèrent pour le venger, mais le dernier geste qu’il fit les écarta : — Ne le touchez pas, dit-il tout haut, c’est moi qui l’ai offensé. Le duel était régulier.

Comme il parlait encore, un frisson le secoua de la tête aux pieds et il mourut.

Ses cheveux trempaient dans le sang répandu à cette place, une pâleur grise couvrit son visage ; dans cet état même, il était beau.

Je ne bougeai pas ; je restai debout, le contemplant. Ma haine s’était éteinte avec cette jeune vie. Je le plaignais passionnément. Périr tous deux pour une cause si vile !

Bien entendu, on ne tint pas compte de ses ordres ; on m’arrêta, je ne résistai pas. J’avais brisé mon épée, que je jetai près du cadavre. Elle avait atteint son but, je n’avais plus besoin d’elle.

On m’a amené ici, on m’a jugé, paraît-il, et demain on me fusille. Je suis aise que ce soit fini.

Si vous demandez une grâce pour moi, ne demandez que celle-ci : que les soldats qui me tueront ne soient pas les mêmes hommes avec qui j’ai si longtemps combattu pour la France. Et quand on me jettera dans la fosse commune, qu’on enterre avec moi cette branche de lilas. Elle ne vaut plus rien,… elle est morte.


Ouida.