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Jusque-là tout allait bien. L’insuccès de la journée dans la plaine de Saint-Denis ne permettait guère de s’avancer plus loin à l’est ni même peut-être de rester où l’on était. Néanmoins le général de Malroy et le général Blaise demandaient instamment de garder la Ville-Évrard, ne fut-ce que pour encourager leurs soldats en les maintenant sur une position conquise, et c’était là l’origine d’une échauffourée nocturne qui aurait pu être un désastre. Le soir venu en effet, les chefs saxons, mécontens du mouvement de retraite de leurs troupes, lançaient deux colonnes qui arrivaient à l’improviste, essayant d’envelopper la Ville-Évrard et de nous couper toute retraite. Par un contre-temps de plus, des Saxons, au moment de la retraite de leur poste, étaient restés cachés dans des caves qu’on avait négligé de fouiller. Aux premiers coups de feu, ils sortaient de leurs réduits et se jetaient dans la mêlée. Nos soldats surpris ne savaient pas où ils en étaient au milieu de cette fusillade venant de tous les côtés. Le général Blaise, sortant pour rallier son monde, tombait frappé à mort. Le colonel Rogé, du 112e de ligne, prenant le commandement, essayait à son tour de se dégager, et il se frayait un chemin vers Neuilly-sur-Marne, tandis que le reste des troupes se défendait encore dans la Ville-Évrard. Fort heureusement les Saxons n’y voyaient pas plus clair que nous, ils ne se sentaient pas sûrs de leur succès, et ils se retiraient. Au jour, on finissait par se reconnaître au milieu de cette confusion, où il y avait eu de tristes défaillances, des fuites éperdues et même la désertion d’un officier français qui avait passé à l’ennemi. On était toujours à la Ville-Évrard; mais ce qu’il y avait de mieux à faire évidemment était de se retirer aussitôt avec le moins de désordre possible.

Voilà donc ce qui restait de cette journée du 21 : une lutte sanglante, héroïque, mais stérile au Bourget, un commencement d’action vers Aulnay, un demi-succès suivi d’une pénible échauffourée à la Ville-Évrard. Les pertes, il est vrai, étaient peu sérieuses, sauf au Bourget, où les marins avaient eu 260 hommes hors de combat sur moins de 700 et 8 officiers tués sur 15 présens au feu ; le résultat ne répondait guère aux espérances qu’on avait conçues, à l’étendue de l’action, aux forces et aux moyens qu’on avait déployés. On le sentait bien, on comprenait quel douloureux retentissement allait avoir dans Paris cette entreprise avortée : aussi le général Trochu se hâtait-il d’expliquer dans un bulletin qu’on avait été « contrarié par l’état de l’atmosphère, » que la journée du 21 n’était que « le commencement d’une série d’opérations, » et en effet il affectait de maintenir l’armée dans ses postes extérieurs au risque de la laisser exposée aux plus dures épreuves, il occupait les soldats à des travaux de tranchée, de cheminement,