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furent obligés de reprendre des postes abandonnés par des gardes nationaux. Ce n’était pas fait pour relever le moral des troupes, pour maintenir entre l’armée et la garde nationale cette virile camaraderie qui est une force quand elle est nouée dans le péril, dans des souffrances communes.

Voilà la situation que l’affaire du 21 décembre accusait d’une manière saisissante. Après cette journée, on le sentait, le siège ne pouvait plus être qu’une lutte contre l’impossible, un effort incohérent et douloureux pour tenir le plus longtemps qu’on pourrait. Ce n’était pas encore la fin, puisqu’on allait passer cinq semaines à se débattre, c’était le commencement de la fin. Tout concourait à préparer le dénoûment. Les vivres étaient comptés; les épreuves s’aggravaient pour Paris, qui voyait peu à peu tout lui manquer. D’une heure à l’autre, l’ennemi, qui avait eu trois mois pour s’organiser, pour serrer autour de nous le cercle de feu de ses batteries, pouvait essayer de frapper le dernier coup, et on n’avait à lui opposer qu’une défense militaire ébranlée, la résolution désespérée d’une population qui ne se décourageait pas, qui s’acharnait au contraire à la résistance, qui ne voulait rien entendre, mais qui en était déjà aux plus cruelles extrémités. C’est là le drame de ce dernier mois, pendant lequel tout se hâte, tout se précipite à travers les convulsions d’une défense abandonnée à elle-même, obstinée et sans espoir.


II

De toute façon en effet, c’était le commencement de la période sombre du siège pour cette population parisienne qui depuis trois mois s’était si intimement associée à la lutte par ses émotions, par son courage, par ses illusions, et qui maintenant se voyait menacée de tous les fléaux de la guerre, de la famine et du bombardement. La première question était de vivre, de savoir jusqu’où l’on pouvait aller. C’était un sujet de cruelle anxiété pour le gouvernement, qui s’épuisait à renouveler ses calculs et qui ne réussissait pas toujours à se reconnaître dans ses évaluations.