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menaçantes. Les Prussiens ne se hâtaient pas devant Paris : ils comptaient sur le temps, sur la famine et sur les agitations intérieures. Aux premiers jours de décembre cependant, la situation se dégageait pour eux en s’assombrissant plus que jamais pour nous. Après la reprise d’Orléans, les Prussiens n’avaient plus autant à craindre l’armée de la Loire. Après Champigny, ils pouvaient croire que l’armée de Paris avait jeté son dernier feu. De tous côtés, ils s’étendaient en France, ils avaient maintenant tout un réseau de chemins de fer aboutissant aux lignes d’investissement. Dès lors ils pouvaient et ils devaient ramener leurs efforts sur Paris, où les agitations sur lesquelles ils comptaient avaient été vaincues par le patriotisme, et où la résistance dépassait leurs prévisions.

Une action plus décisive était même pour les chefs prussiens presque une nécessité politique. Déjà l’opinion en Allemagne commençait à s’émouvoir de cette attente prolongée devant Paris. On n’y comprenait rien, on accusait l’état-major d’agir avec lenteur, de céder à des considérations de diplomatie humanitaire, de ménager la « Babylone moderne, » au risque de laisser souffrir les armées allemandes campées dans la neige autour de Paris. Les femmes elles-mêmes s’en mêlaient; cette douce et poétique Allemagne avait l’impatience assez sauvage du bombardement, comme pour punir les Parisiens de leur « entêtement frivole, » de la « méchante » obstination qu’ils mettaient à ne pas comprendre que, dans l’intérêt de l’humanité et pour éviter une effusion de sang qui attristait les cœurs allemands, ils devaient ouvrir leurs portes et accepter les « conditions généreuses » que le vainqueur leur accorderait ! Au fond, dans cette impatience, il y avait une certaine lassitude de la guerre, qui ne laissait pas de gagner les soldats eux-mêmes dans leurs camps.

C’est alors que l’état-major se décidait à se mettre en mesure d’activer le siège par une attaque d’artillerie, non sans doute pour céder à une pression d’opinion dont il s’inquiétait peu, mais parce que c’était dans ses calculs, parce qu’il croyait venu ce qu’il appelait le « moment psychologique » pour Paris, et aussi parce qu’il avait désormais à sa disposition des voies de transport plus faciles. Même dans cette situation plus libre, ce n’était pourtant pas encore aisé d’amener sur le terrain un immense matériel de siège, dont une partie au moins était en Allemagne, avec un approvisionnement suffisant de munitions pour que le feu une fois engagé ne fût plus interrompu. Pour les attaques de l’est et du nord, sur Avron ou sur Saint-Denis, la difficulté n’était pas grande, puisque de ce côté les chemins de fer touchaient presque aux lignes d’investissement. Pour gagner le sud de Paris, il y avait 80 kilomètres à parcourir de Nanteuil à Villacoublay, où s’accumulait le parc de siège. On aurait eu