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besoin de 5,000 voitures, on n’en avait que 400 ou 500, péniblement réquisitionnées en France. On n’avait point hésité alors, on s’était hâté de former en Allemagne des colonnes spéciales d’artillerie, des « colonnes de parcs, » munies de près de 2,000 fourgons, qu’on faisait arriver par des convois successifs. En quelques jours, ce travail colossal était assez avancé pour que les batteries allemandes, organisées et armées de toutes parts, n’attendissent plus que le signal du feu. Si, comme le disait assez singulièrement le général Trochu dans une dépêche à un de ses lieutenans, c’était là une victoire de la résistance parisienne contraignant l’ennemi à « employer les grands moyens, » l’ennemi à son tour, il faut l’avouer, prenait cette victoire en patience. Il en était peu troublé, car en ce moment même, à la veille du bombardement de Paris, s’accomplissait au camp prussien, à Versailles, un événement étrange, sanction et couronnement de la guerre poursuivie contre la France. Les Allemands refaisaient un empire et un empereur dans la ville où, selon leur expression, « plus d’une désastreuse campagne contre la patrie germanique avait été conçue. »

C’était le dénoûment politique avant la fin du drame militaire. Le jeune roi de Bavière avait pris peu auparavant l’initiative de cette consécration souveraine de l’unité allemande en offrant au roi Guillaume la couronne de l’empire « restauré. » Le Reichstag de la confédération du nord, réuni à Berlin le 10 décembre, s’était empressé de sanctionner cette proposition. Aussitôt délégués du parlement, princes, ducs, grands-ducs et margraves avaient pris le chemin de Versailles, et le dimanche 18 décembre, en plein palais de Louis XIV, le roi Guillaume recevait la couronne qu’on venait lui offrir. Le thème de tous les discours échangés dans la cérémonie « à jamais mémorable » était que la nation allemande ne devait pas déposer les armes « tant que la paix ne serait pas garantie par des frontières inexpugnables contre les attaques de voisins jaloux. » À ces députés porteurs d’une couronne et fêtés aux dépens de Versailles, on aurait bien voulu sans doute offrir les prémices de ce bombardement de la grande ville, si impatiemment attendu par l’Allemagne. M. de Bismarck leur faisait du moins la galanterie de les inviter à une promenade dans les lignes du siège, et en repartant pour Berlin ils emportaient la « bonne nouvelle » de la prochaine attaque de Paris. C’était le don de joyeux avènement du nouvel empereur, mieux encore c’était le « cadeau de Noël. » Le soir du 25 décembre, par ordre supérieur, on annonçait dans tous les cantonnemens des troupes allemandes que le bombardement devait enfin commencer le lendemain, et il commençait en effet, sinon le lendemain, du moins le surlendemain 27, à huit heures du