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qui le disent, M. Picard déclare « que le gouverneur a eu pendant trois mois une dictature militaire et que rien n’a marché, » qu’il faut « la lui retirer, » qu’il n’est plus « l’homme de la situation. » M. Jules Favre dit la même chose. « Il voudrait une surveillance de l’action militaire et voudrait que le gouvernement reprît sa mission de contrôle et de défense. » Il est d’avis que le gouvernement doit conduire lui-même les opérations militaires. C’est la révocation du général Trochu, lui dit-on. M. Jules Favre l’entend bien ainsi, il espère que le général le comprendra. — Le lendemain, 26 décembre, nouvelle délibération; le général Trochu est présent cette fois. A la première marque de défiance, il n’hésite pas, il déclare qu’il est prêt à se retirer, que si l’on espère le succès avec un autre chef, il ne faut point hésiter, qu’il ne croit pas, pour lui, à la possibilité de donner des victoires à la foule, de percer les lignes prussiennes. On hésite alors, on ne veut plus de la retraite de Trochu, non pas qu’on se fie le moins du monde à sa capacité militaire, mais parce qu’on le croit seul parmi les généraux attaché à la république. M. Arago proteste, « car son premier soin, dit-il, serait de réclamer du nouveau général en chef une profession de foi républicaine. » Il demande seulement au gouverneur « de ne plus commander en général prudent, de tenter des coups en dehors de toutes les règles militaires... » Et voilà comment on entendait la défense nationale ! voilà comment on aidait dans son œuvre épineuse et redoutable le gouverneur de Paris ! Le général Trochu restait encore fixé à son poste, et pour le moment tout finissait par la réunion d’un grand conseil de guerre qui devait délibérer avec le gouvernement sur ce qu’il y avait à faire, sur ce qui était désormais possible.

Que se passait-il dans ce conseil, qui, après avoir été retardé par le bombardement, se réunissait au Louvre le soir du 31 décembre? La question posée par M. Jules Favre aux généraux se résumait en ceci : « croyez-vous pouvoir obéir au désir de la population à l’aide d’opérations militaires exécutées par l’armée et la garde nationale? Quel genre d’opérations peut-on tenter ? » Les plus vaillans hommes de la défense, ceux qui depuis plus de trois mois portaient le poids du siège, étaient là : Ducrot, Vinoy, Frébault, Chabaud-Latour, La Roncière, Pothuau, Guiod, Bellemare, Noël. Pas un d’eux ne considérait comme sérieuse et réalisable l’idée d’une trouée à travers les lignes allemandes. Tout ce qu’on pouvait admettre à la rigueur serait, au dernier instant, d’essayer de sauver une partie de l’armée, de faire appel à des hommes de choix, de former plusieurs colonnes qui s’élanceraient à la même heure : passerait qui pourrait. Jusque-là, tenir de son mieux, durer le plus longtemps possible, harceler