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on ne le pouvait plus. Toutes les tentatives avaient échoué, toutes les occasions avaient été successivement écartées. La dernière était une lettre venue du camp du prince de Saxe à Saint-Denis vers la fin de décembre, et qui à la rigueur, comme la lettre du comte de Moltke, aurait pu être prise pour une avance détournée. On ne s’y arrêtait pas, on n’attendait rien de ce côté. Depuis quelques semaines toutefois, dans cette Europe que nous ne connaissions plus que par son indifférence et sa « torpeur, » selon le mot de M. de Beust, avait surgi un incident vaguement entrevu d’abord à Paris, et qui, à une heure moins extrême, aurait pu être pour nous d’un précieux secours. Tandis que la guerre absorbait la France et la retranchait en quelque sorte du monde pour le moment, la Russie, habile à profiter de la circonstance et à se faire payer par M. de Bismarck le prix d’une neutralité qui garantissait à l’Allemagne l’immobilité de l’Europe, la Russie, quant à elle, songeait à prendre pacifiquement et diplomatiquement sa revanche de ses anciens mécomptes de Crimée. Par une circulaire du prince Gortchakof, qui coïncidait à peu près avec la chute de Metz, c’est-à-dire avec un progrès des victoires de la Prusse, la Russie avait signifié à tous les cabinets qu’elle se considérait désormais comme déliée des obligations du traité de 1856 au sujet de la neutralisation de la Mer-Noire. C’était l’annulation du résultat le plus essentiel de la guerre d’Orient. — Assurément l’acte semblait extraordinaire à l’Europe. L’Angleterre, partagée entre la mauvaise humeur et le sentiment de son impuissance, avait eu l’air d’abord de protester; l’Autriche avait reçu la circulaire du prince Gortchakof d’un ton assez sec; l’Italie avait répondu avec une modération réservée. Se soumettre simplement à une signification de la diplomatie russe, c’était dur. Comment sortir de là? M. de Bismarck avait suggéré un moyen accepté par tout le monde. Ce moyen, c’était une conférence qui devait se réunir à Londres. Ceci se passait au mois de novembre et dans le courant de décembre.

La France assisterait-elle à cette conférence, rassemblée pour défaire l’œuvre de la guerre d’Orient? C’était là justement la question qui s’agitait à Londres comme à Pétersbourg, à Bordeaux, où la délégation française avait été rejetée, et à Paris même. L’Angleterre, l’Autriche, l’Italie, désiraient sincèrement qu’il y eût un représentant français à la conférence. La Russie le voulait également, et elle flattait notre diplomatie de vagues promesses de concours. M. de Chaudordy, délégué du ministre des affaires étrangères à Bordeaux, pressait vivement M. Jules Favre de sortir de Paris pour se rendre à Londres. M. Gambetta lui-même insistait énergiquement pour qu’on ne laissât pas échapper cette occasion de paraître devant l’Europe assemblée. Enfin à Paris, après d’assez longues hésitations,