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bombardement, redoublant d’intensité à partir du 5 janvier, sévissait sur Paris lui-même jusqu’à la Seine. Les obus tombaient sur tous les quartiers de la rive gauche, de Grenelle à Ivry, sur le Luxembourg, sur le Panthéon, sur les hôpitaux, sur le Jardin des Plantes, dans les rues, dans les maisons; ils tuaient des femmes et des enfans, ils faisaient partout des victimes, et d’un instant à l’autre ils pouvaient produire des ravages bien plus terribles encore. Qu’un obus tombât sur des dépôts de poudre, il pouvait en résulter aussitôt quelque effroyable catastrophe; que les usines employées à moudre le blé fussent sérieusement atteintes, Paris pouvait être affamé! C’était là un des dangers du bombardement. Malgré tout, Paris ne se laissait pas ébranler. Si les Prussiens avaient cru le réduire à merci par la terreur, ils s’étaient trompés. La population au contraire supportait cette épreuve nouvelle avec une singulière fermeté. Seulement elle se laissait aller plus que jamais aux excitations et à la fièvre de l’impatience; elle se débattait sous l’aiguillon des souffrances et des obus, elle ne comprenait pas la temporisation de la défense. Puisqu’on n’avait plus rien à espérer d’une négociation quelconque, puisque M. Jules Favre ne pouvait plus partir pour Londres, et qu’on était maintenant sous le feu ennemi, qu’attendait-on? Les rapports de police les plus sérieux signalaient cette « envie d’agir dont Paris se montrait animé, et qui redoublait sous la pression du bombardement. » C’était le moment ou jamais de tenter cette dernière entreprise que le général Trochu avait laissé pressentir dans le conseil de guerre du 31 décembre. M. Jules Favre et d’autres membres du gouvernement, qui en étaient à craindre de voir le pain manquer d’un jour à l’autre, qui se sentaient harcelés par le sentiment public, par les maires, harcelaient à leur tour le gouverneur. Le général Trochu aurait bien voulu faire comprendre qu’à précipiter cette bataille qu’on lui demandait, et qu’il avait du reste promise, on risquait d’être obligé de capituler le lendemain, si on la perdait, tandis qu’en patientant encore un peu on laissait quelques jours de plus à l’inconnu, aux armées de province, au mouvement de Bourbaki qu’on venait d’apprendre ; mais ces jours qu’on gagnait n’étaient que des jours de miséricorde. On n’avait plus le choix, on ne pouvait plus reculer, et le gouverneur se voyait lui-même entraîné à livrer sa bataille sans conviction, avec une armée qu’il savait affaiblie, avec une garde nationale à laquelle il ne croyait pas plus que les autres généraux, avec des lieutenans aigris ou divisés, résolus à faire leur devoir jusqu’au bout, sans la moindre confiance dans le succès.

Le général Trochu l’a bien dit, c’était « l’acte de désespoir » du siège. Le choix, la combinaison, la réflexion, n’y étaient pour rien. On allait se battre parce qu’on croyait ne pas pouvoir finir sans