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nés qu’ils fulminent les uns contre les autres, beaucoup de vérité se trouve mêlé à beaucoup d’injustice. « Qu’avez-vous fait de l’Espagne ?, disent les conservateurs aux républicains. Le 5 pour 100 coté à 16, le trésor vide, les carlistes maîtres de trois provinces, les commandemens et les charges confiés à des incapables qui galvaudent tout ce qu’ils touchent, le soldat sourd à la voix de ses généraux et de l’honneur, la marine infectée de cette contagion, nos bâtimens de guerre transformés en pirates, nos colonies compromises, l’unité nationale menacée et qui demain peut-être ne sera plus qu’un souvenir, un pays qui s’effondre, les héritiers de Charles-Quint condamnés aux mépris de l’Europe et, pour dire davantage, à la pitié du Mexique, — voilà vos œuvres. Que sommes-nous devenus entre vos mains ? Où sont vos programmes ? où sont vos promesses ? où est cet âge d’or, cette ère de gloire et de félicité que vos songeurs nous annonçaient ? » Les républicains leur ripostent : « Qui êtes-vous pour nous accuser ? N’avez-vous pas commencé toutes les calamités que nous voyons ? Vous nous reprochez la ruine des finances. Où était le 3 pour 100 quand nous avons pris le pouvoir ? À 23. Et ne vous souvient-il plus que dès 1864 vous aviez fait dans le budget un déficit de plus de deux milliards de réaux, et que l’année suivante, lorsqu’un de vos ministres voulut opérer une souscription nationale de 300 millions, il n’en trouva que 55 ? Vous nous reprochez les carlistes. Il vous a fallu sept ans pour les réduire, et ils n’ont pas attendu que nous fussions aux affaires pour rentrer en campagne. Vous nous imputez la désorganisation de l’armée. Qui donc lui a enseigné la désobéissance, l’art dangereux des pronunciamientos ? Qui, si ce n’est vous, a énervé le sentiment de la discipline dans les chefs et dans les soldats en les menant à l’assaut du pouvoir, en récompensant leurs trahisons par de scandaleux avancemens ou par des réductions de service ? Et la marine, est-ce un des nôtres qui en 1868 l’a pour la première fois insurgée ? Il vous sied mal de gémir sur les maux du pays ; il est malade des leçons que vous lui avez données, et nous ne sommes que les tristes héritiers de vos fautes et de vos désastres. Plût au ciel que nous eussions pu n’accepter votre succession que sous bénéfice d’inventaire ; mais notre avènement, qui est votre ouvrage, nous a surpris. En quatre ans, vous avez brisé deux couronnes, et c’est vous qui avez imposé la république à l’Espagne. »

Les républicains ont raison : on ne saurait sans la plus criante injustice les accuser d’avoir interrompu une ère de prospérité politique. Il n’ont point ouvert l’abîme ; il leur reste à prouver qu’ils sont capables de le fermer. Sans entrer dans le détail de l’histoire d’Espagne depuis quarante ans, il est incontestable que la monarchie constitutionnelle n’avait pas réussi à s’y asseoir, ni à donner