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besoin de le dire ? nous devons mentionner sans commentaires les efforts tentés par Gavarni pour se faire une place parmi les savans, et ne rappeler ses préoccupations de ce côté, ses ambitions exagérées peut-être, qu’à titre de particularité biographique et de simple renseignement.

Cette passion pour les mathématiques, qui, en s’emparant de plus en plus de Gavarni, finit par le dégoûter à peu près de l’art et des travaux qu’il inspire, ces études poursuivies dans les dernières années avec une sorte de contention fébrile et de sombre emportement, témoignaient d’ailleurs des souffrances auxquelles le cœur de celui qui s’y livrait était en proie. Elles révèlent par leur excès même la violence d’une inconsolable douleur qui essayait ainsi de s’étourdir et de se tromper. En 1857, une mort imprévue, presque subite, avait enlevé à Gavarni l’aîné de ses deux fils. Pour comprendre le désespoir où le jeta cette perte d’autant plus cruelle qu’elle avait été moins pressentie, il faut lire dans le livre de MM. de Goncourt le récit des raffinemens de tendresse, des faiblesses même du père pour cet enfant bien-aimé, et la ruse touchante à laquelle il avait eu recours pour le faire participer à l’éducation publique sans néanmoins l’éloigner de ses yeux.

Il arrive parfois que ceux-là mêmes qui, jeunes, se sont le mieux dispensés de toute affection sérieuse, que ceux dont la vie a été en général le plus étrangère à l’esprit d’abnégation et de sacrifice se trouvent, aux approches de la vieillesse, dominés par le besoin de se dévouer, de se donner tout entiers à un être de prédilection, comme s’ils voulaient, en concentrant sur lui leurs ardentes sollicitudes, acquitter d’un seul coup les anciennes dettes de leur cœur et se venger de leur indifférence passée par l’exagération avec laquelle ils s’abandonnent à leur passion présente. Après avoir assez légèrement porté son double titre de mari et de père, Carle Vernet s’était, à partir d’une certaine époque, si bien fait l’esclave de sa tendresse pour son fils Horace, que, celui-ci ayant un beau jour brusquement contracté un engagement militaire qui du reste n’eut pas de longues suites, le peintre de la Bataille de Marengo n’imagina rien de mieux que de courir s’engager lui-même, pour échapper à la douleur d’une séparation. Gavarni n’avait pas eu l’occasion de prendre un aussi violent partie mais, lorsqu’il s’était agi de concilier avec l’éducation classique qu’il fallait donner à son fils les exigences jalouses de son amour paternel, il avait trouvé la solution du problème dans l’installation sous son propre toit des maîtres et des camarades futurs de l’enfant. Au lieu de mettre son fils en pension, c’était la pension qu’il avait mise chez lui, dans cette maison du Point-du-Jour dont il s’était seulement réservé une petite partie, et où il vivait lui-même de la vie quotidienne des écoliers,