Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 107.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dont un travestissement est la livrée et l’atmosphère d’un bal public l’aliment. Il ne rira plus alors de ce qu’il jugeait jadis seulement ridicule ou burlesque : les mœurs ou les personnages auxquels il aurait, à une autre époque, demandé les élémens d’une comédie, sinon d’un vaudeville, lui fourniront maintenant l’idée de quelque drame au sens lugubre, au style énergique jusqu’à l’âpreté.

Veut-on un exemple du changement que subissent vers la fin les habitudes intellectuelles de Gavarni ? Que l’on rapproche ces deux suites séparées dans la vie de l’artiste comme dans la vie des modèles par un intervalle de quinze années, les Lorettes et les Lorettes vieillies, — ou bien ces deux autres séries de pièces si vraies, si expressives, les Étudians de Paris et les Invalides du sentiment. Quoi de plus dissemblable, non-seulement quant aux compositions mêmes, mais quant aux sentimens qui les ont inspirées ? Ici le tableau des amours à l’encan ne sert qu’à mettre en relief la corruption paresseuse, presque naïve, de celles qui font métier de se vendre et l’imbécillité des acheteurs ; les mœurs de la population des écoles, si peu conformes qu’elles soient aux règles d’une saine morale, n’expriment, telles qu’elles sont représentées, que l’étourderie de gens escomptant joyeusement tout ce que la vie promet ou gaspillant tout ce qu’elle donne. Là au contraire rien que de profondément triste, de poignant, de crûment ignominieux, comme le sont les difformités de l’âme lorsqu’elles n’ont même plus pour enveloppe ou pour masque les élégances du corps et les charmes d’un jeune visage. Rien de plus navrant que cette image en partie double du sort réservé aux hommes qui n’ont pas su se préparer une vieillesse et aux pauvres créatures qui, lorsque les premières rides seront venues, tomberont du haut de leur luxe dans un isolement désespéré ou dans les bas-fonds de la misère. Sévère enseignement sous des formes familières, sinistre galerie où ne manque le portrait d’aucun vétéran du vice, depuis le disciple goutteux de Gentil Bernard ou de Parny regrettant ses anciennes assiduités dans les boudoirs du directoire jusqu’au chauve Antony méditant devant la table d’un estaminet sur les ruines qu’ont faites en lui les orages de la passion, — depuis la contemporaine de Mlle Lange se rappelant au coin de son foyer solitaire que « ce jour de Sainte-Madeleine !.. ç’a été longtemps le jour de sa fête, » jusqu’à la vieille courtisane en haillons mendiant vainement le pain de la journée ou répondant à l’aumône qu’un passant lui jette par ce cri de sombre gratitude : « que Dieu garde vos fils de mes filles ! »

Et quel surcroît de force dramatique, d’expression pénétrante ces scènes ne tirent-elles pas de l’art avec lequel chacune d’elles est rendue ! Il est telle figure des Lorettes vieillies qu’il faut absolument voir pour en apprécier non-seulement les mérites pittoresques.