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époques antérieures aient ignoré l’existence de la villa Masère : pas un écrivain local ne passe sous silence cette demeure historique, qui fut la résidence du dernier doge de Venise, et qu’on désigne encore parfois sous le nom de villa Manin, du nom de Lodovico Manin; mais aucun guide ne la signale, et les seuls écrivains qui l’aient décrite se sont bornés à une simple constatation. Le chanoine Lorenzo Grico, dans ses Lettres sur les beaux-arts de la province de Trévise, est celui qui s’est le plus étendu sur ce sujet, et il ne nomme même pas les illustres fondateurs de la villa. Temanza, dans ses Architectes italiens, la cite au chapitre Palladio, et tout récemment, à propos d’une des expositions régionales, très suivies désormais en Italie, où chaque province met en relief et ses monumens et ses produits et son industrie, M. Caccianiga a donné une description assez circonstanciée et très brillante de la villa Masère, en essayant de faire revivre ces temps fortunés de la renaissance où de tels hommes d’état s’entouraient de tels artistes. Quant aux graveurs de l’œuvre du Véronèse, les Augustin Carrache, les Vosterman, les Van-Kessel, Carle Sacchi, Coelemans, Crozat et autres, ils n’ont pas reproduit une seule figure de cet énorme ensemble, et on peut considérer l’œuvre comme entièrement inédite.

Ce n’est d’ailleurs pas tant l’attrait de l’art lui-même et ce côté piquant d’une découverte qui nous appellent à Masère; c’est un ensemble assez rare de souvenirs et de manifestations d’une grande époque, la preuve vivante de l’existence fastueuse des patriciens du XVIe siècle, de l’élévation de leur goût et de leur illustration personnelle. C’est pour nous une occasion de puiser aux sources vraies, et de restituer, à l’aide des documens des archives des Frari de Venise, des figures de diplomates et de princes de l’art que nous placerons dans leur cadre naturel. Commençons par visiter la villa; nous apprendrons plus tard à connaître le patricien qui l’a fondée.

Pour se rendre à Masère, il faut prendre la voie ferrée qui va de Venise à Udine, l’abandonner à Trévise, et de Trévise, traversant Conegliano, Feltre, Belluno, Cadore, arriver à Asolo assez à temps pour jouir de la pleine lumière indispensable à une excursion de cette nature. Le voyageur qui sera tenté de visiter la villa peut donc quitter Venise à neuf heures du matin, il sera à dix heures à Trévise, où, comme dans presque toutes les petites villes d’Italie, il trouvera facilement une voiture bien attelée qui peut en trois heures le mener à Masère : c’est le nom du village dont dépend la villa. Cette belle résidence, en admirable état de conservation après une intelligente et discrète restauration, qui toutefois n’a jamais été exercée sur la partie des fresques, appartient aujourd’hui à M. Giacomelli, un grand industriel, très ami des arts, et qui accueille les étrangers avec la cordialité et la bonne grâce italiennes.