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Toutes ces jolies petites villes, ces gracieux villages qui ont donné leurs titres aux lieutenans de Napoléon, diffèrent assez peu, comme caractère et comme aspect, des petits pays de la Lombardie. La culture, moins riche et moins grasse que dans le Milanais, présente la même succession de plaines bien drainées et propices aux cultivateurs. Au bord des routes, depuis Trévise jusqu’à Masère, sur une étendue de près de dix lieues, les pampres s’enroulent en guirlandes aux troncs des mûriers et y mêlent leurs feuillages. C’est un dimanche, le soleil brille, les contadini ont revêtu leurs habits de-fête et se rendent aux prochains villages pour entendre la messe; les femmes, jeunes ou vieilles, sont enveloppées du voile blanc, le mezzaro, que nous n’avions vu jusque-là qu’aux environs de Gênes, et qui semble une réminiscence du voile aux plis exquis, drapé par le sculpteur antique sur la tête et les épaules de la Florentine, cette jolie terre cuite du musée de Naples. Le voile souple encadre bien le visage et tranche vivement sur les jupes colorées, donnant une certaine grâce à la moins preste, faisant d’une jeune fille une madone du Sasso-Ferrato et d’une vieille ridée une Sibylle de Michel-Ange. La population de ces provinces a son caractère, quoique les hommes en général s’habillent d’étoffes noires, et parfois, au détour d’une route ou au repos devant une fontaine, l’œil s’arrête sur des groupes qui s’incrustent dans la mémoire et qui ne s’en effacent plus. C’est ainsi qu’un jour, dans une de ces excursions, nous vîmes venir à nous trois paysannes au buste court, au cou droit, au geste noble, dont les cheveux noirs étaient noués en tresse et ornés de ce singulier peigne en éventail que terminent des boules d’argent; le fichu blanc laiteux, le corsage agrémenté d’or, la jupe courte, donnaient à ces figures un peu trapues un tel cachet que tous en même temps nous murmurâmes le nom du Padouan, comme si les trois belles filles étaient descendues d’un cadre peint par le maître.

Déjà nous découvrons les premiers étriers des Alpes juliennes, les collines, d’un ton fauve au premier plan, se détachent en vigueur sur trois fonds successifs de montagnes neigeuses qui passent du gris au blanc d’argent pur; la dernière, qui se perd dans la nue, frappée par un vif rayon de soleil, éclate à l’extrême horizon. Nous avons traversé Asolo et nous entrons dans Masère par une route bien droite au bout de laquelle s’élève un petit temple de forme antique surmonté d’un dôme passé au lait de chaux. Le portique, par sa proportion, rappelle celui du temple de Vesta; mais, par une fantaisie qui dénonce la renaissance, d’un entre-colonnement à l’autre les chapiteaux sont reliés par des guirlandes de fruits sculptés en ronde bosse. Ces guirlandes blanches, isolées, suspendues à la colonnade éclatante, se détachent violemment sur l’ombre portée