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cun de ces points; c’est un étonnement pour le voyageur de voir ici l’oléandre et l’olivier à côté de l’agave d’Amérique, et l’opunzia tunicata du Mexique, tandis qu’au niveau de la montagne, dans le voisinage des fontaines et des grottes de stuc sculptées par le Vittoria verdissent la fraîche mousse et les saxifrages, comme sur le versant septentrional des Alpes.

Cette condition fondamentale assurée, Palladio dispose son plan suivant les nécessités de la vie patricienne et de la villégiature, et il accuse franchement dans sa façade les différens usages auxquels servira chacune des parties de l’habitation. Au centre, il fait largement saillir un avant-corps d’une proportion grandiose, et luxueusement orné de sculptures qui annoncent la partie la plus noble, l’habitation patricienne avec sa loge en saillie. Au second plan, à droite et à gauche, il relègue les dépendances sous un grand portique à arcades simples qui les abrite contre le soleil; enfin, aux deux extrémités, il ferme ses lignes par deux autres petits pavillons légèrement sortans, couronnés par un colombier et peints à fresque à l’extérieur.

L’architecture proprement dite est réservée pour la partie centrale, qui affecte la forme d’un temple d’ordre ionique et rappelle la Fortune Virile, type cher à Palladio; au milieu s’ouvre la Loggia avec son balcon monumental, et dans le fronton le Vittoria a modelé en stuc deux figures agenouillées d’une grande tournure, qui portent un écusson entouré de rinceaux de feuillages où s’accouplent les noms des deux frères fondateurs de la villa, Marco-Antonio Barbaro, Danielle Barbaro, patriarcha d’Aquileia.

Il n’y a là ni marbre ni or, les sculptures sont des stucs qui se détachent en blanc pur sur le ton local plus foncé des matériaux du pays. L’effet général résulte de la combinaison des lignes assez mouvementées de la façade avec les profils des collines auxquelles elle s’adosse. La coloration joue aussi son rôle comme dans toute construction Italienne; le jardin, planté sur la hauteur et couronnant la villa, forme un fond de verdure sur lequel elle se détache, noble au centre, avec sa belle architecture à la fois sévère et élégante, gracieuse, mais plus que simple, au second plan, où une décoration naturelle et inattendue exprime naïvement un usage du pays symbolisé par des guirlandes de maïs qui mûrissent au soleil, forment un feston continu et font une tache d’or dans l’ombre profonde de chaque arcade du second plan.

Le rez-de-chaussée n’a pas reçu de décoration; les murs sont peints en blanc, le sol est fait de mosaïque de Florence; mais dès qu’on arrive à l’étage supérieur, on est frappé de la grandeur du parti-pris. Le plan affecte la forme d’une croix dont le bras principal tout entier n’est qu’une immense galerie. La perspective n’est