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chrétienne, une grande somme de self-government, elle respect envers le père de famille. Sur le premier point, on pourrait contester à M. de Ribbe non pas certes le fond de sa thèse, c’est-à-dire l’influence sociale, la toute-puissante vertu du christianisme, mais les preuves qu’il apporte de la supériorité qu’avait l’ancienne France, dit-il, à cet égard. De pareilles discussions risquent au reste de demeurer inachevées et indécises, tant l’objet en est général, complexe et difficilement appréciable. À côté des mœurs privées, il faut considérer le progrès des lois et des institutions publiques, et décider si vraiment il y a divorce ; quant à la conduite des âmes, quel statisticien hardi viendra nous dire si le moyen âge, comparé avec notre temps, en a connu, à tout prendre, un beaucoup plus grand nombre de sévèrement religieuses en dehors des formules et des pratiques extérieures imposées par la coutume ? M. de Ribbe se contente d’invoquer à l’appui de sa doctrine les témoignages de piété, nombreux et touchans il est vrai, qu’il rencontre dans les livres de raison ; mais ces témoignages ne lui eussent peut-être pas suffi à lui-même, s’il n’eût été fort désireux de signaler des contrastes en opposition au temps présent. Les livres de raison lui attestent un fréquent usage des invocations et de la prière : c’est fort bien, mais ne sait-on pas qu’une sorte de phraséologie dévote pratiquée au moyen âge peut en certains cas nous faire illusion ? Nous ne pouvons dire si les documens qu’il a parcourus offrent souvent la preuve que ces témoignages risquaient d’être trompeurs, il n’en cite, quant à lui, aucun cas ; mais qu’il lise avec attention les Ricordi de Guichardin, et il verra, tout à côté des commémorations pieuses, d’étranges invectives contre la fausse religion du temps.

Sur le second point, c’est-à-dire sur les pratiques de self-government dans l’ancienne France, M. de Ribbe a recueilli beaucoup de traits intéressans, mais qui gagneraient encore à être plus précis. L’ancienne Provence, pays de tradition romaine, compte, nous dit-il, jusqu’à six cent quatre-vingts communautés d’habitans qui jouissent dès le XVe siècle d’une presque entière autonomie. Cette organisation municipale repose sur des principes essentiels formant comme une sorte de charte que personne n’a décrétée, mais à laquelle tout le monde obéit. Le premier de ces principes veut que tout chef de famille propriétaire, ayant un intérêt local dans la communauté, soit électeur ; il sera également éligible, s’il figure au cadastre pour une certaine valeur foncière. La seconde règle est que tout chef de famille électeur doit son suffrage, tout chef de famille élu son assiduité, car les fonctions locales auxquelles on a été nommé par ses concitoyens sont obligatoires. Elles sont d’ailleurs temporaires, afin que chacun à son tour ait part aux charges et aux honneurs. Tous sont responsables, particulièrement les élus dans leurs personnes et