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dans leurs biens, s’ils violent les lois ou s’ils administrent mal les finances locales. Les électeurs le sont eux-mêmes : leurs propriétés deviennent le gage des créanciers, si la communauté est impuissante à payer ses dettes. On voit que ces Français d’autrefois, loin d’entendre la liberté comme une maxime abstraite, savaient fort bien l’identifier avec de sérieux et pratiques intérêts. « Nous parlons beaucoup du système électif, dit M. de Ribbe, mais nous ne le pratiquerons jamais autant qu’il l’était dans l’ancienne France, où, en exceptant le pouvoir monarchique, partout il y avait des élections incessantes, dans les villages, bourgs, villes, corporations, collèges, universités. » Il faut voir combien de mesures sont prises pour garantir la sincérité des choix. « Tout ce que l’imagination peut concevoir de procédés pour briser les menées des partis, les ligues, les coalitions, les petites tyrannies locales, la domination d’une classe ou d’un quartier sur un autre, ou bien pour éloigner les gens suspects de vouloir s’emparer à leur profit de l’influence et de la jouissance des biens communaux, a été autrefois pratiqué avec une surabondance inouïe de précautions. Suffrage à un, deux, trois degrés par la voie d’électeurs élus ou tirés au sort en assemblée générale, boîtes au fond desquelles est appliquée une étoffe de velours ou de drap, boules noires ou blanches, creuses ou non, recouvertes ou non d’une semblable étoffe, pour assurer le secret absolu des votes, baguettes pour compter les boules en éloignant tout soupçon de fraude, claustration des électeurs, triples clés pour fermer les boîtes, surveillance perpétuelle et jalouse, il n’est pas de mesures auxquelles on n’ait recours. « Le livre du bourgeois agriculteur d’Ollioules, Jaume Deydier, semble particulièrement propre à nous faire distinguer ces divers traits d’autonomie locale. C’est lui qui présidait le conseil général des chefs de famille de sa commune au mois de mai 1520, lorsqu’à la suite de longs efforts cette commune parvint à s’affranchir des droits fonciers dont elle était redevable à l’égard de ses seigneurs, jadis propriétaires. Il est certain qu’il y a là de ces informations secrètes qui décèlent à nos yeux, si nous savons les comprendre, la vie intime de l’ancienne France, les raisons de son accroissement et de sa vigueur physique et morale.

Nous ne contestons pas à M. de Ribbe le mérite d’avoir mis en lumière de si utiles documens; bien au contraire, nous regrettons qu’il n’ait pas été plus loin encore dans cette voie, c’est-à-dire qu’il n’ait pas donné une forme plus scientifique à son intéressante étude. Un plus grand nombre de citations textuelles empruntées à ce livre de Jaume Deydier par exemple nous eût sans doute fort instruits et eût été l’occasion de commentaires plus voisins du sujet que quelques-uns de ceux que nous trouvons ici en grande