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il importe qu’elle s’accomplisse, et le plus régulièrement possible, c’est-à-dire en entière conformité avec l’ordre naturel. La loi obéit à cet ordre, elle sauvegarde le principe de la solidarité qui doit unir les sociétés et les familles humaines quand elle dispose comme règle générale que les enfans, ayant chacun droit à une égale part d’affection de leurs parens, auront chacun aussi droit à une égale part de leur héritage. Le législateur est autorisé à penser qu’en disposant ainsi il est d’accord avec le sentiment général et ne fait que sanctionner ce qui serait la pratique commune. L’autorité paternelle n’est pas sacrifiée, d’abord parce que la loi ne conseille ou n’ordonne au père que ce qui doit être selon son cœur, c’est-à-dire l’accomplissement de chers devoirs au prix desquels il sera sûr d’avoir mérité de tous ses enfans une égale part de reconnaissant souvenir, et ensuite parce que la loi, non oublieuse des cas d’exception, lui permet, par la quotité disponible, de réserver à tel ou tel de ses enfans certains avantages. Le droit d’aînesse avec tout ce qui s’en rapproche paraît souverainement inique en droit et par conséquent très nuisible en fait. Une aristocratie peut en étouffer jusqu’à un certain point les funestes conséquences par l’esprit de tradition et de sacrifice qu’elle impose, ainsi que par les concessions qu’elle est habile à faire; mais une démocratie, dont le principe de l’égalité entre tous les citoyens est l’âme, ne saurait offrir de ce côté aucune conciliation. Le partage égal empêche, à la vérité, la formation de grandes propriétés qui puissent conférer à une classe quelque réelle puissance en face de l’état centralisé; mais par compensation elle empêche cette classe elle-même de menacer la liberté, et procure à chaque citoyen des ressources de bien-être et d’intelligence qui sont autant de digues contre les envahissemens de la puissance publique. Chaque père de famille est, dit-on, condamné à refaire de nouveau son édifice, sans profiter du travail accumulé de la famille : chacun s’épuise à cette toile de Pénélope. Dites mieux, chacun est obligé de travailler à son tour à la ruche commune, et chacun trouve au point de départ le secours d’un petit fonds ou d’une épargne accumulée qu’il augmente d’ordinaire par son mariage et qui encourage ses efforts. La toile de Pénélope se refait sans cesse, mais avec une trame toujours plus forte et plus serrée, qui atteste des ouvriers sans cesse plus nombreux, plus sains et plus joyeux de ce travail, qui est leur vie.

Le danger n’est pas réel d’une division infinie de la propriété immobilière : on peut s’en fier aux intérêts du soin d’échapper à ce péril. Que la moyenne propriété soit en général particulièrement avantageuse, on ne saurait sans doute le contester; or c’est elle qui profite de notre législation, les statistiques démontrent à ce propos ce que le raisonnement fait pressentir. Le petit paysan,